Les Fourberies de Scapin est une comédie où le personnage le moins servile (curieux pour un servant) se taille la part du lion. En trois actes contenant beaucoup de scènes mémorables, tant au niveau de la qualité du dialogue que de la situation ou même l’émotion à la fin, le père Poquelin nous gratifie d’un Scapin qui, tour à tour, use d’arguties amusantes pour se jouer de son maître et de vieux bourrus aux bourses remplies de pistoles. La longueur est la bonne, il y a le rythme qu’il faut pour éviter à la fois trop de longueurs forcées menant à des situations invraisemblables (le coup de la bague) et des répliques bâclées menant à une incompréhension de l’intrigue.
Comme avec Dom Juan, Scapin, "habile ouvrier de ressorts et d'intrigues" déclame de longues tirades qui rejettent les mœurs ou la justice. Mais, s’il fait ça, ce n’est que par fourberie, parce que c’est un impertinent, un fieffé coquin qui prend un plaisir énorme à faire tourner en bourrique ses interlocuteurs trop naïfs là où Dom Juan se rapprochait plus de Diogène dans son rejet systématique des conventions au profit d’une jouissance des plaisirs de la vie.
Les répliques, et pas seulement de Scapin, sont un vrai plaisir pour l’esprit. C’est du petit lait, notamment Silvestre, d’entrée de jeu, et Argante, par sa colère envers son fils qu’il insulte copieusement. Malgré le comique de la pièce, une réplique sensationnelle de dramaturgie parvient tout de même à émerger. L’inoubliable : « Je hais ces cœurs pusillanimes qui, pour trop prévoir les suites des choses, n'osent rien entreprendre »
Les batifoleurs, eux, sont un peu plus effacés. Et il est vrai que Scapin s’attire toute la lumière, par son caractère rusé, intelligent, jacasseur et gaffeur. Mais le timide Silvestre en est le parfait contrepoint, et ses répliques font mouche. Tout le génie de Molière se situe au niveau du corps qu’il parvient à donner aux personnages plus en retrait, et les scènes les faisant interagir. Les retrouvailles tendues entre Argante, père furieux d’avoir été trahi et Octave, fils un peu simplet qui n’avait pas réfléchi aux conséquences de son mariage secret et en paye le prix sont un parfait exemple de comment donner de relief à un personnage au caractère insipide.
Tout le monde connaît cette pièce. La lire restera toujours un plaisir intact, car le vocabulaire et les situations comiques exhaussent inlassablement notre plaisir littéraire.