L’oeuvre est une invitation au voyage dans la vie rocambolesque de l’héroïne, Emilie.
Souvent dépeint comme le manifeste du roman gothique, le frisson y reste modéré. Le lecteur, peut-être s’attend-il à être pétrifié à chaque page, mais il n’en est point, et c’est là toute la grandeur de ce livre. Ann Radcliffe, soigneuse, modérée, réaliste, nous épargne d’un monde chimérique pour le faire ancrer dans la réalité, et ce, d’autant plus quand le lecteur s’enlise dans le récit. Ce dernier doute en même temps que l’héroïne, et accepte volontiers de lui prendre la main quand celle-ci s’aventure à connaître les secrets du château d’Udolphe.
Cette suspension de l’incrédulité du lecteur est en partie du aux minutieuses descriptions, lui faisant voir les paysages et les scènes décrites comme s’il les voyait de ses propres yeux, l’immersion est parfaite, d’autant plus que ces descriptions ne sont à aucun moment mises de côté. Les plus beaux paysages pyrénéens et toscans contrastent parfaitement avec la froideur des murailles d’Udolphe et de ses noirs secrets.
L’univers très manichéen que propose Ann Radcliffe n’est pas sans ravir le lecteur. Malgré cette entreprise « simpliste » se cache tout le gothique du roman et permet de facilement catégoriser les personnages : l’horreur de certains permet au lecteur de mieux apprécier les qualités des autres, ce qui simplifie quelque peu un récit ponctué de mystères, de péripéties et de noeuds familiaux. Aussi pouvons-nous y voir une caractéristique du roman gothique, qui fait très souvent côtoyer les bonnes âmes et les mauvaises.


En ce qui concerne la construction du roman ; celui-ci fait preuve d’une très grande minutie, qui traduit l’habileté de l’autrice. Le livre premier ne répond pas à la réputation du roman : le gothique, comme se l’imagine le lecteur, se tient à l’écart pour mieux faire appréhender le personnage d’Emilie, ainsi que son entourage.
Dès le début, le lecteur comprend que la figure féminine y sera prépondérante. Outre celle d’Emilie, il convient de citer l’importance de sa tante (Mme Chéron) mais aussi et surtout de sa servante, Annette. Il serait peut-être aventureux d’affirmer que le roman est teinté de féminisme, mais ce sont bien les femmes qui font avancer le récit, nouent et dénouent les multiples intrigues et si Emilie pourrait être taxée de « faiblesse » par ses inclinations à l’évanouissement et aux pleurs, le récit nous fait comprendre qu’elle fait tout de même preuve d’une grande force d’esprit.
Le deuxième et le troisième livre obéissent davantage à la tradition gothique, et entrainent le lecteur dans le macabre. Il ne faut donc pas voir de l’inutile au premier livre, mais un procédé habile de l’autrice pour mieux tenir son lecteur en haleine (et cela fonctionne!), facilité par les nombreuses intrigues qui tendent à se résoudre pour laisser place, à la fin, à un dénouement d’une grande qualité.
Et qu’il soit lu au premier ou deuxième degré, cette oeuvre laisse apprécier, avant tout, le génie de l'autrice.

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le 23 août 2018

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