SensCritique a changé. On vous dit tout ici.

Les Ronces
7.3
Les Ronces

livre de Cécile Coulon (2018)

Ah la poésie. On dit qu’on peut en trouver dans les orages d’été, sur le sourire des enfants, dans le rap, dans les paysaes underground. Mais chose étonnante, on en trouve beaucoup moins en librairie et surtout dans les bibliothèques des lecteurs. C’est la sorte de pierre philosophale de la lecture ; il est de légende commune que cela existe, mais peu d’âmes courageuses ont l’outrecuidance de s’y frotter. Pourtant la création poétique contemporaine est bien vivante ! Pensée trop hermétique, repliée sur soi, trop réflexive, la poésie fait peur. Ces préjugés-là sont les fléaux de la poésie contemporaine – avec Delerm, mais ça c’est une autre histoire. Bien souvent, la poésie actuelle se contente de rejouer les mêmes vers, les mêmes strophes que les poètes marquants. C’est souvent très bien ficelé, parfois même frappant, mais rarement original. Un recueil vient contredire tout cela : Les Ronces, de Cécile Coulon. La jeune auteure (car elle est romancière, Les Ronces est son premier recueil) se place justement en marge de cette poésie-là. Elle joue avec les codes du récit poétique et du récit narratif. Elle ne va pas puiser ailleurs pour construire une poésie factice ; elle s’arrange avec le quotidien. C’est extrêmement moderne, audacieux et agile, très direct et touchant ; la poésie de Cécile Coulon, c’est le réel et le fugitif qui se rencontrent, sans jamais vraiment se trouver.


La trivialité chantante



Ma force c’est d’avoir enfoncé mon poing sanglant dans la gorge du
passé Ma force n’a pas d’ailes Ni de griffes Ni de longues pattes Ma
force a toujours soif Ma force n’est pas fidèle Pourtant ma force
n’est pas faite Pour quelqu’un d’autre que moi.



Ma force


Les poèmes ont pour la plupart du temps comme décor des scènes du quotidien (l’attente devant un kebab, le café de la gare, la première cigarette, le réveil par le chat) qui servent à la fois de prétexte pour lentement dériver vers un fond plus réflexif et plus introspectif. Mais si les situations sont bien souvent personnelles, avec un je marqué, il n’y a pourtant rien d’intimiste. Elle brosse des portraits ou des scènes qui ont une portée globalisante, sinon universelle. Ses poèmes sont parsemés d’éléments triviaux qui agissent comme des récurrences sensorielles en convoquant des souvenirs que tout lecteur a en lui. Le recueil s’ouvre avec un poème intitulé « J’aimerais vous offrir des frites » : alors qu’on pourrait craindre quelque chose de volontairement un peu trop informel, provocant, Cécile Coulon se sert d’une situation absolument banale pour verser dans des questionnements presque existentiels, comme si ces images du quotidien se déposaient devant ses yeux et lui rendaient cette hyperconscience du réel. De ces poèmes se dégage un agencement sobre, concret, mais qui dégage une foule d’odeurs, de sensations, de visions ; c’est la grande force de Cécile Coulon qui arrive à s’arranger avec le réel pour lui faire dire autre chose sans pour autant changer ses atours.



A vrai dire j’ai de la chance d’avoir un très bel avenir derrière moi
avec de grandes maisons hautes blanches des toits d’ardoise et des
nids de plumes d’oie sous les combles où des hommes et des femmes ont
fait l’amour pour la première fois d’abord avec des ombres d’abord
avec des fantômes



Les ronces


Les Ronces c’est aussi une poésie très narrative, et c’est ce qui donne de la force et de la vitalité à ces instants glanés au quotidien. On ne trouve pas chez Cécile Coulon de longs lamentos ou de longues descriptions. Ce sont bien de longs poèmes, mais qui se déroulent comme des fragments d’histoire, ouvrant sur d’autres perspectives, d’autres questionnements. Ce ne sont en aucun cas des poèmes romancés, ni des narrations poétiques ; c’est un basculement entre les deux. Questionnant des moments de vie, l’écriture de Cécile Coulon questionne aussi le rapport même à la poésie en jouant avec les codes narratifs – mise en place d’une situation – et les codes poétiques – presque tous les poèmes sont écrits en vers. Les Ronces est en définitive un recueil très original et qui aborde de manière très moderne la relation entre poésie et quotidien. Mettez un peu de poésie dans votre été et offrez-vous ce petit opuscule. Et sinon, achetez quand même le livre car il est venu emballé dans un plastique et remplace donc merveilleusement la traditionnelle bouée flamant rose dans votre piscine !

qP1
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 20 juin 2018

Critique lue 903 fois

Critique lue 903 fois

7

D'autres avis sur Les Ronces

Les Ronces

Les Ronces

le 1 févr. 2019

Critique de Les Ronces par Gwen21

Je découvre la plume de Cécile Coulon avec ce recueil qui m'a été offert de façon inattendue car jusqu'à présent je ne connaissais pas l'auteure et je lis très peu - vraiment très peu - de...

Les Ronces

Les Ronces

le 27 nov. 2020

Que la poésie soit aussi naturelle à ceux qui m’entourent que l’émotion qui jaillissait cette nuit.

Comment écrire sur Cécile Coulon ? La première fois que j’entends parler d’elle, c’est Anouk qui prononce son nom. Anouk c’est l’amie de la découverte du cinéma. J’ai une confiance aveugle en...

Les Ronces

Les Ronces

le 6 août 2025

Critique de Les Ronces par Isapdlg

Le première poème détonne un peu, voire semble déceptif quand on ouvre un recueil de poésie : des frites alors que le titre porte sur les ronces ? De quoi ce recueil va-t-il donc nous parler ? Et...

Du même critique

Les Nouvelles de Pétersbourg

Les Nouvelles de Pétersbourg

le 12 juin 2016

Saint-Pétersbourg la romanesque

La littérature russe peut parfois faire peur au premier abord. Difficile à aborder, sombre, froide, engagée, absconse, elle souffre de nombreux préjugés. Mais dès lors que l'on s'affaire avec le...

Concours pour le Paradis

Concours pour le Paradis

le 15 sept. 2018

Concours pour le Paradis : esquisse ou coup de maître ?

Concours pour le Paradis de Clélia Renucci était l’un des livres qui avaient aiguisé d’emblée mon intérêt au cœur de cette rentrée littéraire. Il parlait d’art, de la Renaissance italienne et de ses...

Titus n'aimait pas Bérénice

Titus n'aimait pas Bérénice

le 12 juin 2016

Racine et Azoulai

Deuxième rencontre avec les lauréats 2015 du Goncourt, cette fois-ci tête-à-tête avec Nathalie Azoulay. Un incipit assez mauvais car redondant, un rythme ternaire pauvre sujet-verbe-complément...