Les Vertes Lectures sont un recueil d’articles (j’ignore si certains ont été publiés indépendamment) que Tournier consacre à la littérature, plus particulièrement à la littérature pour enfants. On sait que pour lui, la seconde n’est pas une sous-littérature, au sens hiérarchique du mot sous. Consacrées par exemple à Jules Verne, Hergé, don Quichotte ou Jack London, elles ne sont pas inintéressantes à lire. Par exemple : « Rien de plus éloigné d’une confession qu’un conte traditionnel. […] / Mais peut-être faut-il faire une exception pour Pierre Gripari. » (p. 171). Pas bête !
Ou bien cette autre idée, qu’« il y a une littérature intimiste. Dans un deuxième cercle, on trouverait le thème de la maison, enfantine, magique ou hantée. Chez Verne, il faut tracer un troisième cercle et admettre que c’est le paysage tout entier qui est hanté » (p. 89), me donnerait presque envie de relire du Jules Verne. Ou encore celle, mise au crédit de Miguel de Unamuno, selon laquelle « Sancho est la projection de Quichotte vers la réalité, comme Quichotte demeure l’idéal respecté de Sancho » (p. 37) me donnerait envie de lire Don Quichotte si ça n’avait pas déjà été fait.
Mais autant on peut prendre du plaisir à lire les propos de Tournier sur le moment, autant il est difficile d’en garder quelque chose sur la durée. Cela vient en partie de leur caractère digressif. Tournier parle de tout dans les Vertes Lectures, et pas seulement de littérature pour enfants. Il parle aussi de tout dans ses autres essais (et même parfois dans ses romans), mais le Vent Paraclet ou le Miroir des idées ont l’avantage d’être plus structurés.
Quelle différence, alors, avec un Borges, à propos de qui on pourrait dire la même chose ? Je crois que cela vient d’un caractère éducatif qui a fini par avoir raison du Michel Tournier de 2006. Ce n’est pas l’endroit pour comparer le thème de l’enfance chez l’un et l’autre (1), je citerai juste ce passage des Vertes Lectures : « ma vocation aurait été d’enseigner la philosophie à des enfants de onze-douze ans » (p. 29). Du coup, l’auteur finit par ressembler à ces instits à la retraite qui veulent saisir le moindre moment passé avec vous pour vous enseigner quelque chose.
Alors que chez Borges, tout vient naturellement, d’autant qu’il a souvent la politesse de vous laisser découvrir ce qu’il veut vous transmettre.


(1) Y en aurait-il un qui prend les adultes pour des enfants et l’autre qui fait confiance aux grandes personnes ?

Alcofribas
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le 11 janv. 2019

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