Baam, ah ah ah ! on se croirait dans une passe d'armes sous une liste de SC… Ça commence par quelques questions apparemment gentilles d'un certain Blyenbergh qui a du mal à avaler une thèse du jeune Spinoza (enfin il n'a jamais été vieux à proprement parler), ce dernier lui répond poliment, l'autre insiste en trouvant des accents lyriques pour chanter la gloire du Dieu chrétien (oups, erreur !), moyennant quoi Baruch s'énerve carrément, Blyenbergh essaye de rattraper le coup, Spino lui rive son clou, encore deux petites lettres et finalement ça se termine par une fin de non-recevoir polie mais ferme de Baruch qui fait comprendre au cagot qu'il a d'autres chats à fouetter que de convaincre des fondamentalistes aveuglés par la bêtise de leurs convictions religieuses.

Le fond du problème tourne autour de la question du mal : dans la mesure où Spinoza avance que Dieu est responsable d'absolument tout, création comme conservation des êtres existants, cela voudrait dire soit que rien n'est mauvais puisque voulu par un Etre parfait, soit que le Créateur est à l'origine du mal commis par l'homme.
Un homme autorisé à violer et à tuer tous ceux qu'il veut, ou un Dieu méchant, le brave marchand tremble. Et jusqu'au bout, ne pourra pas comprendre la thèse de Baruch : le Mal n'est relatif qu'à l'imagination de l'homme qui le rapporte à une comparaison avec un Bien désiré. Dans l'absolu, le problème ne se pose pas sous les termes d'une privation (où un homme mauvais serait la version dévoyée d'un homme bon - et idéal) mais d'une négation (un homme dit mauvais n'est en fait qu'un homme à qui, à un moment donné, on ne peut pas attribuer la qualité "bon"). En résumé "la connaissance du Mal n'est qu'une connaissance inadéquate".

Bien sûr, cette thèse, une des plus complexes et des plus riches de développement de la philosophie de Baruch n'est ici qu'esquissée, il faudra attendre l'Ethique pour en avoir une version complètement argumentée. Non, le vrai plaisir de ce court volume, c'est l'affrontement entre deux conceptions du Monde, le dogmatisme à la fois béat et retors d'un côté et la souplesse sans fin d'un Esprit libre de l'autre. Chaque phrase de Spino est un bonheur d'expression, d'humour et de brillance. Aimable et prévenant au début, ses explications sont d'une clarté, d'une intelligence, d'une douceur sans pareil, mais lorsque le ton monte, il survole soudain les objections avec une ironie merveilleuse et un impertinent mordant. Reviens, Baruch, tu nous manques !
Chaiev
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le 7 déc. 2012

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