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Né en 1923, mort en 2007, André Gorz a occupé sa vie à militer, à écrire des essais et des articles de presse. Il a participé avec d'autres à la naissance d'un mouvement écologique en France et a alimenté les débats internationaux qui traversaient ces mouvements.

Ce livre a le défaut de nombreuses anthologies théorique. En privilégiant les articles et les entretiens plutôt que les textes longs il donne une vision réductrice d'un travail de pensée. En sélectionnant des extraits dans des livres à la construction lente et progressive il prend le risque de confondre son lecteur. La mémoire du lecteur se déleste des extraits qui affrontent les problèmes fondamentaux faute de les avoir saisi profondément et frise le danger de ne garder que des affirmations péremptoires et des idées sous forme de slogan.

Ainsi

le capitalisme est responsable de la destruction de l'environnement et du vivant, le consumérisme de l'épuisement des ressources ; le mouvement ouvrier est bloqué dans un logiciel productiviste ; il faut relocaliser l'activité et moins travailler

Oui mais pourquoi ?

Il se trouve qu'il y a aujourd'hui, plus encore qu'à l'époque d'André Gorz, plusieurs écologies qui s'affrontent. La "leur" est celle des engagements responsables de bnp paribas, de la transition de Total Energies, des écoquartiers, des COP, de Jancovici, des pubs et des rayons aspergés de vert à en vomir. La "nôtre" c'est celle que l'on poursuit et que l'on matraque, de la désertion, des zads, du low tech et de l'artisanat, de la critique de l'industrie et du high tech, des solutions malheureusement minoritaires mais qui sont seules soutenables ; de la campagne des Soulèvements de la Terre que je vous invite toutes et tous à rejoindre pour saboter concrètement et efficacement la mégamachine : https://lessoulevementsdelaterre.org/.

Gorz vivait déjà ces équivoques de l'écologie dans les années 70, entre les technocrates Meadows ou Mansholdt et les mouvements communautaires, autogestionnaires ou anti nucléaires. C'est précisément parce que la récupération marchande et technocratique est inarrêtable aujourd'hui qu'il faut dépasser les slogans et engager avec précision le débat. L'écologie est aujourd'hui un signifiant ambigu soutenu par une base petite bourgeoise qui préfère s'arrêter aux aspects purement naturels de la catastrophe pour ne pas affronter ses causes économiques et techniques.


Chanter à poils dans la forêt ne va pas suffire

André Gorz met en avant une écologie anthropocentrique : l'humain et le social sont des réalités radicalement distinctes des réalités naturelles. La coupure prend son origine dans la conscience, Gorz est sartrien, pour lui l'humain est une réalité à part parce qu'elle a conscience d'elle-même et est libre. Ce sont donc les organisations sociales et les valeurs qui provoquent la destruction de l'environnement. En tant que tel la nature ne connait pas de destruction ou de mal. Il n'y a de destruction que pour l'Homme pour qui la perte de l'environnement est un danger de mort. Contestable sur le plan philosophique, et ne manquant pas d'être contestée par les débats contemporains sur le naturalisme et le rapport de l'homme au reste du vivant, cette approche a le mérite de couper court à la mélasse de l'anthropocène culpabilisant où l'homme est le problème et la nature dans son droit pour nous foutre tous six pieds sous l'eau.

Gorz est venu à l'écologie politique par le socialisme et ne s'en laissait pas conter sur notre système social. Les institutions capitalistes que l'on prend pour acquises (l'Etat-nation, la marchandise, la valeur économique, le travail salarié, la propriété capitaliste) sont le fruit d'une histoire contingente. Gorz le savait grâce au marxisme. Dès ses débuts d'écoterroriste il a mis en avant les mécaniques économiques qui nous mènent dans le mur.


En 1964 dans Néocapitalisme et stratégie ouvrière, il avançait que pour nous qui vivons dans une économie capitaliste c'est la production qui donne sa loi à la consommation.

D'abord parce que les mouvements de capitaux décident sous quelle forme nous allons répondre à nos besoins (prendre la bagnole pour se déplacer plutôt que les transports en commun). (Lisez cet excellent texte de Gorz qui n'est pas présent dans l'anthologie en question https://larotative.info/l-ideologie-sociale-de-la-bagnole-3011.html).

Ensuite parce que le capitalisme crée constamment de nouveaux besoins et les rend nécessaires (voir le smartphone aujourd'hui).

Il pointait également du doigt le mécanisme d'obsolescence programmée ou accélérée qui est bien connu aujourd'hui. Cette obsolescence s'explique à la fois par le besoin d'amortir les investissements importants de capitaux nécessaire au lancement d'une production d'échelle industrielle et par la course à la rentabilité en régime concurrentiel qui pousse à baisser les coûts et à vendre le maximum donc à réduire la qualité.


Pour qui a saisi les mécaniques économiques à l'origine des dépassements des limites planétaires et de la destruction de la Terre, il ne suffit plus de changer de mentalité ou de culture mais bien d'imposer une autolimitation. Les humains doivent démocratiquement décider quels besoins ils veulent satisfaire et de quelle manière. Voilà qui est antithétique avec un contrôle privée de la production.


Mieux vaut tous crever toutdsuite que survivre en esclaves

Précisément parce qu'il avait l'oreille ouverte à tout le champ de la critique sociale et aux projets d'émancipation politique en général, contrairement aux Jancovici ou à certains militants bornés, Gorz voyait à son époque le risque d'une politique environnementale réactionnaire. L'écologie a désigné d'abord une branche des sciences naturelles. C'est tout naturellement que des experts scientifiques et techniques se sont emparées de la destruction des écosystèmes pour répondre aux besoins gestionnaires des gouvernants et des entreprises. La dégradation de la vie sur Terre porte en elle la gestion autoritaire d'une caste de sachants qui interdisent à tous des activités et dictent les manières de travailler, de se déplacer, de se reproduire. Cette logique poussée à fond aboutit à l'écofascisme. Les libertés individuelles sont suspendues pour notre bien. La gestion sanitaire du Covid montre la voie.


Changer de système de techniques et abandonner la mégamachine

Ami et premier introducteur d'Ivan Illich en France, Gorz s'est éloigné du mouvement ouvrier traditionnel pour remettre en questions les fondements techniques et les valeurs associées de la modernité.


La critique de l'école, du système médical, du mode de vie américain comme soviétique associée à une analyse fondée sur la marchandisation aboutissent à dessiner en opposition ce que serait un monde réellement libéré. L'école sert à trier socialement les humains en fonction de leur activité spécialisée et devient un obstacle au véritable épanouissement de chacun, à la curiosité intellectuelle, artistique ou technique, à l'expérimentation. Les activités s'institutionnalisent et se marchandisent. Les professions deviennent incapacitantes pour ceux qui n'en sont pas. La marchandisation des biens communs permet de sauver le besoin infini de profit capitaliste et prive d'eau, d'air, de relation sociale tout un chacun.

Le système médical crée un réseau de dépendance où chaque intervention se paiera de nombreuses interventions ultérieures.

Gorz suit le reste du mouvement écologiste dans la mise en avant d'un système de valeurs alternatives et libertaires portée sur la convivialité, le pacifisme, l'ouverture aux particularités locales, aux enseignements de la tradition. Mais ce retournement des valeurs est liée pour lui à une analyse économique et technique. C'est parce que l'économie a besoin de tout intégrer à sa logique de profitabilité qu'elle détruit le monde vécu dont Husserl déplorait l’appauvrissement dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale.

Libérer le travail

On a reproché à Gorz d'arrêter de parler d'écologie, de nature et d'environnement après les années 70. C'est qu'il s'attachait à comprendre et critiquer les causes fondamentales du désastre : le travail salarié, la marchandise, le capital. Comprendre l'histoire de ces institutions, comment elles fonctionnent, comment elles nous détruisent et comment s'en libérer en vient à se confondre avec la réflexion écologique. Le capitalisme ne désigne pas un système ou les inégalités sont énormes, ni une culture centrée autour de l'argent. Car ces deux caractéristiques existaient dans bien d'autres sociétés. C'est un système économique obéissant à ses mécaniques propres.


Ce que nous appelons travail, c'est à dire le salariat, est une réalité récente. Pendant longtemps en Occident on méprisait ceux qui échangeait du travail sous la forme de temps ou de volume de tâches accompli contre de l'argent. Pour que le salariat se généralise il a fallu déposséder la majorité de la population. Ne pouvant plus subvenir à leur besoin par leur terrain, leur outil, leurs connaissances, la vie des humains devient tributaire des formes de travail et par voie de conséquence d'alimentation, d'habitation, de transport etc que leur imposeront les capitalistes.


Le salarié est aliéné, c'est à dire séparé de son propre travail. Séparé des moyens de production (terre, outils, connaissances) qu'il ne maîtrise pas comme il l'entend. Séparé du produit de son travail qu'il ne conçoit et ne distribue pas. Séparé des autres et de sa maîtrise propre du temps par la division du travail qui attribue à chacun une place spécialisée.


L'exigence fondamentale pour Gorz est l'autonomie. Il y a des tâches complexes qui demandent une coordination à grande échelle, une séparation minimale des boulots, des connaissances poussées, par exemple la production de produits manufacturés. Ce travail là doit être réduit au minimum pour que le reste de l'activité soit autogérée, créative, collaborative.


La substitution du capital, le partage impossible de la valeur

A la fin de sa vie Gorz s'est rapproché du courant de la critique de la valeur, théorisé principalement par Robert Kurz et influencé par Moishe Postone. Gorz partage beaucoup avec eux. Il vient du marxisme, il a pris conscience que le mouvement communiste mondial menait aux même directions que le capitalisme (si tant est que cette histoire du communisme léniniste se soit jamais réellement distinguée du capitalisme), il a perdu espoir en la lutte des classes pour mener un mouvement d'émancipation conséquent. Comme eux il s'est concentré sur la critique du travail et le retour au noyau de la critique marxienne de l'économie.


Voilà un texte qui résume les positions de la critique de la valeur https://inventin.lautre.net/livres/Manifeste-contre-le-travail.pdf

Et le site qui regroupe de nombreux textes clairs et succincts sur ces théories http://www.palim-psao.fr/

En bref le capitalisme procède en transformant du travail vivant, telle personne qui maçonne deux agglos ou qui usine une pièce en acier, en travail mort c'est à dire en temps de travail quantifié que l'on va échanger et transformer en capital. Le travail vivant se transforme en valeur monétaire mais aussi en machines construites et accumulées qui augmentent la productivité et réduisent les besoins en travail vivant. Les travailleurs sont progressivement exclus du circuit de la valeur qui s'accumule et croit au seul profit des capitalistes. Face à cela ou bien des dispositifs sociaux viennent artificiellement partager la valeur et maintiennent les exclus dans des loisirs marchands débiles et dégradants, ou bien il faut opposer progressivement aux activités marchandes des activités émancipatrices de toutes natures où nous utilisons aux fins que nous décidons des outils laissés à la disposition de tous.


Je résume à grands traits et passe sur de nombreuses autres questions essentielles soulevées dans ces textes. Lecture très riche même si le choix des textes est discutable et la lecture des œuvres intégrales plus profitable.

DaimyoNitsu
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le 19 nov. 2022

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