Blues lorrain
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Nicolas Mathieu nous livre un récit poignant qui nous plonge dans la France "d'en bas", cette masse silencieuse de vies dérisoires et de destins brisés. Une immersion chez ceux qui ne laissent aucun souvenir, qui partent comme s'ils n'avaient jamais existé au terme d'une vie sans éclats; une vie ne leur appartenant pas vraiment, qui se tisse presque malgré eux. Ces existences où la crise n'est pas un moment difficile à passer, mais une étape inéluctable, incommensurable, celui d'un destin tracé d'avance. Le leur. Loin des centres-villes coquets et dynamiques, nous voici transportés dans ces vastes étendues, d'abord bassins industriels prospères avant que la mondialisation n'en décide autrement, maintenant dédale de tristesse mercantile où la malbouffe, les Gauloises et le Picon-bière forment une symbiose aussi banale que mortifère. Nous y retrouvons ces mères, monstres d'amour et de résignation, ayant sacrifié leurs plus belles années sur l'autel d'une vie de famille sans joie et plein d'ennuis. Ce temps où elles étaient belles à crever, délurée et enflammée, où elles riaient de la vie, se moquaient de la mort et savaient aimer; ce temps, gâché et perdu à tout jamais au côté d'un homme alcoolique et agressif. Ces maris, justement, plus victimes que bourreaux, qui subissent une vie sans issues, sans rebonds, et meurent à feu doux, un peu plus chaque jour, d'humiliation et de servitude. Dans ce labyrinthe de misère, dans cette succession infinie de minuscules sacrifices indolores et de plaisirs insatisfaits, seul dans la jeunesse survit le sentiment éphémère que la vie vaut la peine d'être vécue. Ainsi, ce livre est d'abord une histoire d'adolescents, vivant leurs belles années comme il se doit, dans la fougue et l'exaltation, sans plans d'avenir ni projets précis, mais qui rêvent cependant tous de quitter leur trou paumé, dont ils méprisent la médiocrité, et en même temps, y sont attachés par cette "effroyable douceur d'appartenir". La jeunesse, si belle et naïve ; ce moment de l'existence où tout a l'air tellement possible et si fragile à la fois. Puis, petit à petit, le possible s'estompe et laisse place à la reproduction, à la même vie que leurs parents, ces ploucs dont ils avaient honte. La honte de les voir vivoter ainsi, mener une vie si terne et monotone. Mais ils ne peuvent pas encore comprendre, non, ces petits cons, les humbles sacrifices que demande cette existence moyenne, poursuivie sans relâche, à se lever tous les matins pour ramener une modique paie, à faire le dîner tous les soirs, à être attentif, à être présent tout simplement, dans l'espoir vain de leur offrir la vie qu'ils n'ont pas eu.
Créée
le 1 oct. 2019
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