Années 80-90, Heillange, une ville de province fictive qu'on peut facilement imaginer en Moselle ou quelque part dans le Nord-Est. Une terre de sidérurgie moribonde et de hauts fourneaux éteints, à l'une histoire indissociable du contexte social des travailleurs.


Nicolas Mathieu est originaire des Vosges donc on peut légitimement supposer que question prolétariat, il a pu faire une étude de sujets sur le terrain ; en tout cas, pour moi qui vis en province depuis vingt ans et qui travaille dans l'insertion professionnelle des jeunes, son verbe sonne juste, hélas. Toutefois, je considère que son talent réside surtout dans le fait de jouer les équilibristes entre réalisme d'un côté et stéréotypes de l'autre.


Nicolas Mathieu a dû terminer l'écriture de son livre complètement crevé, vidé, éreinté voire suicidaire ; en tout cas, c'est un peu comme ça que moi j'en ai terminé la lecture. Accrochez-vous à vos bretelles parce que si vous avez l'âme sensible et si l'humanité crue vous fait peur, passez votre chemin. "Leurs enfants après eux" sent la bière et la sueur chaudes, la lotion pour l'acné, le cannabis, le tabac froid, le rot de poivrot et le fond du culotte, vous voilà prévenus.


Résolument pessimiste, le récit se déroule sur moins d'une dizaine d'années et explore le temps ingrat de l'adolescence d'une poignée de jeunes, garçons et filles, plus ou moins bien dans leur peau, plus ou moins bien à leur place. Leur place, justement, quelle est-elle ? Comme la trouver, l'identifier ? Pas évident quand vous semblez scellé au sol de votre enfance, lourd d'un patrimoine difficile à assumer.


Nicolas Mathieu a fait de "Leurs enfants après eux" une chronique naturaliste des atavismes sociaux et ça fait froid dans le dos ; ça fait aussi réfléchir et, avec beaucoup de foi, espérer en un avenir meilleur même si on comprend très vite qu'on est loin de naviguer en eaux calmes.


Poignant, triste, mais aussi vulgaire (cette sorte de vulgarité qu'il semble de bon ton pour un auteur aujourd'hui de devoir glisser dans sa prose pour être sûr de plaire) ; quelques fulgurances à la couleur du bonheur, aussi fugaces et inutiles que des gerbes de feu d'artifice.


Une belle plume cependant, un vrai talent d'observation et un don pour amener à la réflexion.

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le 8 déc. 2021

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Gwen21

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