Livres décevants (comme cette malencontreuse tentative de jeu de mot...)

Ce coup-là, je ne pourrai plus me dire que je n'ai pas laissé sa chance à Clive Barker (et pourrai passé à autre chose le cœur plus léger)!!!


Celui-ci a tout de même pas mal d'amateurs, mais je n'avais jamais été très convaincu lors de mes premières interactions avec certains de ses travaux, essentiellement des adaptations filmiques de ses œuvres. Ni Hellraiser (réalisé par Barker lui-même en 1987), ni Candyman (1992) ne m'avaient vraiment convaincu, ceux-ci se démarquant par une imagerie horrifique, disons, imaginative et intéressante dans ses meilleurs moments, mais souffrant d'un manque de profondeur criant au niveau narratif (le tout étant totalement dans la "monstration" - pour reprendre une catégorie qui a été pas mal utilisée dans la critique littéraire sur le fantastique, cf. notamment ma critique récente de la, d'ailleurs très critiquable, Introduction au fantastique de Todorov - sans se soucier particulièrement de la crédibilité et de l'exploitation de son contexte, de sa diégèse).


Bref, il restait tout de même en moi un fond de curiosité pour l'oeuvre de cet auteur anglais. Est-ce que ces œuvres cinématographiques ne faisaient pas honneur à son travail d'écrivain? Etait-ce, malgré ces signaux négatifs, un auteur (très) important du genre horreur-fantastique? Je me suis donc procuré ces "livres de sang" (un recueil des trois premiers volumes de cette série anthologique des nouvelles de l'écrivain, édité par Bragelonne). Verdict? Malheureusement, les films cités ci-dessus étaient pour le moins fidèles à l'oeuvre de l'écrivain, celle-ci partageant, pour ce que j'ai pu en voir, les mêmes tares que ses adaptations. Je confesse ne pas être allé au bout de cet épais ouvrage, non que les nouvelles que j'ai pu lire soient totalement à jeter - on est très loin d'être dans de l'indispensable, mais ce n'est pas totalement méprisable non plus, c'est juste moyen quoi... - mais une fois au fait des techniques narratives principales de l'auteur, une fois l'effet de découverte passé, et bien celui-ci perd quasiment tout son intérêt, ses ficelles étant bien trop systématiques. Prenez un gros monstre ou un équivalent, balancez-le dans une communauté, regardez le résultat, avec une grosse poignée de gore et de sexe pour pimenter le tout (je viens de vous résumer en gros les 3/4 des nouvelles que j'ai eu la patience de lire). En cela, Clive Barker s'inscrit largement, avec son oeuvre entamée principalement dans la 2e moitié des années 1970, dans cette tendance de la littérature anglo-saxonne horrifique de cette époque (Stephen King!) à ausculter les effets d'une force maléfique et/ou d'événements étranges sur des péquenauds d'une banalité (voire d'une grossièreté) confondante (cf. ma critique du livre de 1979 Ghost Story de Peter Straub, encensé par S. King, et qui représente un exemple assez caricatural en la matière), en opposition à une horreur plus "aristocratique", "élitiste" de maîtres plus anciens comme Poe, M.R. James, Lovecraft (beaucoup plus dans mes goûts)...Dans une autre veine (quasiment toutes les autres nouvelles non-couvertes par la précédente catégorie), Clive Barker nous propose ce qui semble bien davantage relever du slasher/thriller psychologique, le fantastique ne venant pointer le bout de son nez qu'à la toute fin (les nouvelles de ce type étant, d'ailleurs, j'ai trouvé, souvent parmi les meilleurs de Barker, en tout cas les plus prenantes: "La truie", "Terreur", "Le train des abattoirs", etc.).


Néanmoins, en comparaison avec un Stephen King, Clive Barker, avec son style très direct, quasiment dénué de fioritures, semble bien plus intéressé par la dépiction de tableaux horrifiques "grotesques" qui sont, de toute évidence, à l'origine de son succès et qui font son originalité (qu'on adhère ou pas - perso je ne suis pas très fan de cette "horreur grotesque", qui me semble en l'occurrence souvent assez balourde). En outre, dans ses œuvres littéraires, Clive Barker ne dispose même plus du puissant support de l'image pour véhiculer ses visions (il n'est absolument pas étonnant que cet artiste soit aussi illustrateur et cinéaste, étant donné la dimension fondamentalement "graphique" de ses univers!) et semble surtout en difficulté lorsqu'il s'agit d'aller au-delà de ses (parfois frappantes) idées de départ.


Mais un bon principe en narratologie selon moi, c'est que même les œuvres moyennes ou ratées ont des choses à nous apprendre sur ce qui fait un bon récit (horrifique) par leurs défauts-mêmes et leurs manques. Ici, ce qui manque le plus (à mon goût), c'est un véritable approfondissement du contexte horrifique (ou devrais-je dire de "l'enracinement" horrifique en nous de ces récits); il manque cet élément, cette mise en contexte, qui feront naître en nous la terreur par le "vacillement" quasi-métaphysique qu'ils engendreront au cœur de notre imaginaire et/ou de notre quotidien (ce en quoi excellent, encore une fois, des auteurs majeurs du genre comme Poe, Lovecraft, etc.). Chez Clive Barker, tout semble trop plat, trop descriptif, trop distancié ; la connivence (profonde) avec la subjectivité du lecteur est largement absente, rendant la lecture, sur le long cours, assez rébarbative. Les images employées marquent, parfois, mais ne bouleversent quasiment jamais.


PS: je n'ai pas eu le courage, dans cette critique, de rentrer systématiquement dans le détail (et même de citer) les nouvelles précises que j'avais en tête aux détours de certaines phrases (je n'ai pas le livre à côté de moi, ce qui ne facilite pas forcément les choses). Pour les connaisseurs ou les amis de la précision, je précise tout de même que mes lectures ont couvert tout le premier tome des "Livres de sang"...J'ai ensuite (très légèrement) picoré dans les deux tomes suivants au gré d'indications données par d'autres lecteurs sur internet (nouvelles "Terreur", "Le désert des démons" et un bout de "Rawhead") avant de lâcher l'affaire.
PS2: Du coup, s'il y a vraiment des connaisseurs qui passent par là et qui souhaiteraient m'indiquer une oeuvre à lire de Clive Barker qui pourrait me faire revenir sur mon jugement, n'hésitez pas, je suis preneur!
PS3: pour continuer mon excursion dans la littérature horrifique, j'achèverai prochainement mes lectures de l'intégrale M.R. James et je me lancerai certainement ensuite dans Shirley Jackson; je me repencherai également je pense sur les recueils de nouvelles de Stephen King, notamment pour voir si le souvenir très positif et durable que j'ai d'un recueil lu il y a très longtemps comme "Danse macabre" est justifié ou non...).

Tibulle85
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le 21 nov. 2018

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Tibulle85

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