Presque un siècle d'Histoire française condensée dans ce pavé de plus de 700 pages. Jean-Christian Petitfils écrit très bien, dans une belle langue, agréable à lire. Il fait une biographie à contre-courant de Louis XIV, loin des basses histoires de coucheries de ce dévoreur de femmes que fut le Nec pluribus impar. Pour autant, il n'occulte rien des travers du roi et je le trouve un peu sévère sur sa critique de ce qu'il qualifie de "bigoterie" royale concernant la conversion du roi. Ses chapitres politiques sont absolument magistraux, spécialement celui sur la Fronde dont il donne à voir à quel point cet épisode a forgé pour toujours le caractère de Louis XIV. Le Roi est un tacticien hors-pair, un fin maître de la politique intérieure et internationale. C'est un portrait politique, au sens premier du terme, du roi que dresse habilement l'auteur car il y intègre, il fait incarner au roi, toute la France du XVII, dans ces heurs et malheurs, beaucoup de malheurs qu'il faut cacher sous les ors et les fastes de la cour. C'est une histoire politique, administrative, militaire, économique et culturelle de la France de 1638 à 1715 que nous offre Jean-Christian Petitfils.
Ce qui est le plus admirable dans le travail de l'auteur, c'est qu'il nous permet de pénétrer l'âme d'un homme tellement impressionnant et complexe, et qu'il fait émerger un être humain doté d'une force intérieure et d'une dignité extraordinaires. Les chapitres sur la vie intime du roi, sur la manière dont il se met en représentation afin de se distinguer du vulgum, noblesse comprise, sur la façon dont il a torturé son corps afin de donner l'illusion qu'il était plus qu'un Homme, m'ont vraiment impressionnée. Non, Louis XIV n'était pas un être sans cœur et imbu de lui-même. Il faisait seulement semblant de l'être. Il était faux tout le temps, il s'obligeait à l'être afin de régner d'une main de fer sur un royaume si difficile à gouverner. C'était un bourreau de travail, il se donnait corps et âme pour sa mission divine. Pourtant, il n'était qu'un petit homme, souffrant des pires défauts humains si communs, même aux plus grands, notamment l'orgueil. Il ne s'est jamais appartenu, il n'appartenait qu'à la France.
Il a abusé de son pouvoir bien des fois sur les hommes et les femmes. Il a maltraité son épouse en public en affichant de manière honteuse ses multiples maitresses. Et tout cela il l'a payé de son vivant. La conversion du roi à partir de son mariage morganatique avec Mme de Maintenon est une sidérante leçon de morale et d'eschatologie. Comment un homme peut-il changer à ce point à un âge aussi avancé ? Tout non-croyant ne peut le comprendre. Louis XIV a fait amende honorable, lui qui se croyait, grisé par l'ivresse de son absolutisme de façade, autre chose qu'un homme. Il a vécu le châtiment de Dieu jusqu’à la fin terrestre afin de payer ici-bas le tarif de ses frasques. Tous ses enfants périssent sous ses yeux, puis ses petit-enfants. Il ne reste de son sang que ses bâtards, empêchés de régner malgré son testament. Petitfils nous fait voir de manière magistrale l'évolution d'un homme si beau et si fort, qui finit en vieillard décharné perclus de douleurs et puant tellement la putréfaction due à la gangrène que même les courtisans ne l'approchent plus. Louis le Grand finit presque seul dans son immense Versailles, enterré à la hâte sans pompes et sans peuple, lui qui mena de si grandes batailles.
C'est un destin bien curieux que celui du roi qui a le plus marqué la mémoire des Français. Un enfant-roi de cinq ans qui s'est battu toute sa vie contre le destin, pour la grandeur de la France et qui la remet entre les mains de cet arrière petit-fils de cinq ans aussi, qu'il ne connait pas. La boucle de l'histoire est stupéfiante, les quelques mots de Louis au Louis suivant sont incomparables: "soyez à Dieu et n'aimez pas la guerre comme moi". Mais que peut comprendre un enfant de cet âge-là ? Tout s'effondre sous les yeux de Louis XIV, tout son bel édifice sans qu'il n'y puisse rien.
Cette biographie de sa Majesté est monstrueuse dans tous les sens du terme.
Il ne manque, si ma mémoire ne me fait défaut, que l'hypothèse de la paternité royale de la Mauresse et l'ouvrage eut été complet.

ElodiePerolini
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le 7 mai 2017

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