Ma part d'ombre
7.5
Ma part d'ombre

livre de James Ellroy (1996)

James Ellroy est un écrivain loquace, ça, on le sait.

Du meurtre de sa mère, il s'était déjà exprimé tout au long du Dahlia Noir, et on pouvait également percevoir ça et là des allusions à une adolescence trouble dans les premiers chapitres d'Un Tueur sur la Route. En dehors de sa production littéraire, la personnalité excentrique qu'il adopte volontiers face aux journalistes démontre aussi chez lui un goût certain pour la mise en scène et la frasque. Il se raconte autant qu'il raconte des histoires, c'est probablement ce qui explique les qualités narratives de son œuvre romanesque.


Cette fois-ci, il délaisse (presque) les flics ripoux et les intrigues alambiquées pour consacrer enfin un texte tout entier à son traumatisme de jeunesse ; l'assassinat de sa mère lorsqu'il n'était âgé que de dix ans. De cet évènement tragique suivra une longue descente aux enfers de laquelle l'auteur ne réchappera que vingt ans plus tard, une expérience qu'il évoque largement dans cette autobiographie intitulée Ma Part d'Ombre.

J'avais déjà lu une partie des mémoires d'Ellroy, notamment La Malédiction Hilliker où il y relatait sa relation très particulière aux femmes, mais je ne m'étais jusqu'alors jamais plongé dans ses autobiographies, genre pour lequel j'ai toujours eu une certaine réticence.


Ellroy organise donc son texte en plusieurs parties : une première où il revient sur les circonstances de la mort de sa mère en 1958, une seconde où il relate l'après-coup et sa descente aux enfers, et une troisième où il brosse le portrait de Bill Stoner, agent de police qui l'aidera à essayer d'élucider trente ans plus tard le meurtre irrésolu de sa mère.

La quatrième et dernière partie de l'ouvrage s'articule, quant à elle, sur cette nouvelle enquête menée de concert par Ellroy et Stoner à la fin des années 90.

Les qualités inhérentes à son style littéraire sont de nouveau présentes : j'y retrouve ce phrasé inimitable, un sens du rythme et de la progression que lui-seul connaît, une grande richesse de vocabulaire et de langue, et cette faculté impressionnante à nous plonger dans la crasse de la société américaine en une poignée de mot. Il est très difficile de lâcher un livre de James Ellroy une fois l'avoir entamé, tant il réussit presque chaque fois à vous tenir en haleine de bout en bout.


Je n'ai pas décroché une seule fois pendant ma lecture, et pourtant je demeure assez mitigé à propos de La Malédiction Hilliker. Si j'ai particulièrement apprécié la manière avec laquelle Ellroy dépeint un ouest américain sale et désolé, notamment dans ses descriptions de la ville d'El Monte, ou encore lorsqu'il évoque les multiples affaires sordides irrésolues qui pèsent sur la conscience de Bill Stoner, j'admet avoir été plusieurs fois agacé par cette sorte de nombrilisme qui émane d'Ellroy à mesure que je découvre et lis ses écrits plus intimes. Je reconnais que ce texte a dû être cathartique pour lui à cette période de sa vie, mais cette manière qu'il a souvent d'appuyer, voir de marteler les pires choses qui ont découlé de la mort de sa mère m'a posé problème, si je veux bien être tout à fait honnête.


En cherchant systématiquement à être sans fard, à faire un portrait au vitriol de lui-même, il me semble paradoxalement assez artificiel et faux. J'ai parfois eu le sentiment d'assister à l'un des numéros qu'il joue lors de la promotion de ses livres, cherchant à tout prix à choquer ou à impressionner l'auditoire.

Reste que j'ai dévoré ce pavé, que je continuerai à lire avidement Ellroy, et que je ne me lasse absolument pas de son écriture. Cependant, j'admet être assez hermétique à la démarche de cette autobiographie, qui m'a d'ailleurs mise assez mal à l'aise dans le mauvais sens du terme.

Je ne suis pas sûr, par exemple, qu'il était nécessaire de mettre en exergue du chapitre consacré à l'assassinat de sa mère, une véritable photo de la scène de crime. Je ne comprends pas ce que ceci apporte littérairement à l'œuvre, et on en revient à ce sens de l'esbrouffe que j'évoquais un peu plus haut.


Une œuvre capitale pour celles et ceux qui veulent comprendre l'homme Ellroy, mais un ouvrage à mon sens assez mineur si on le compare à ce que l'auteur a pu écrire d'autre.



LounisBrl
7
Écrit par

Créée

le 13 déc. 2023

Critique lue 10 fois

LounisBrl

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