De Stefan Sweig, on retient bien sûr les nouvelles mais il ne faut pas oublier toutes les biographies qu’il a pu écrire (Montaigne, Marie-Antoinette…) : à ce titre celle sur Fouché reste un chef d’œuvre ! Sa biographie portant sur Magellan est parue en 1938 et Sweig en a eu l’idée lors d’une croisière sur l’Atlantique, en route vers l’Amérique du Sud. Il se trouvait sur un paquebot très luxueux, rapide et spacieux, doté de tout le confort moderne de l’époque et a réfléchi à ce qu’avaient pu vivre les grands navigateurs des XVe-XVIe siècles. Voilà l’objectif qu’il se fixe dans la préface : « Essaie de te représenter comment ils se lançaient, sur leurs malheureux cotres, dans l’inconnu, ignorants de la route à suivre, perdus dans l’infini, sans cesse exposés aux dangers et aux intempéries, aux souffrances de la faim et de la soif ». C’est dans la bibliothèque du bord qu’ils trouvent quelques ouvrages généraux sur le thème et qu’il pense immédiatement au voyage de Magellan, parti d’Espagne en 1519. Sweig n’est pas un historien mais au-delà de la trame chronologique, il cherche à explorer les motifs profonds des personnages dont il raconte la vie : l’ambition dans le cas de Magellan, l’honneur aussi avec la volonté de laver l’affront que le roi du Portugal lui avait fait en refusant de financer son voyage et le renvoyant sèchement.
Accomplir ce qui n’a jamais été fait en reliant l’Europe aux « îles aux épices » d’Asie (les Moluques en particulier) mais par l’Ouest en cherchant un hypothétique passage à travers le continent sud américain, parcourir des mers où aucun homme ne s'est jamais aventuré, voilà l’idée de Magellan qui part comme Colomb avant lui, avec pas mal d’idées fausses dans la tête. Au prix d’un périple monstrueux marqué par des mutineries, la faim, le scorbut et qu’il n'achèvera pas puisqu’il meurt en avril 1521, tué dans une embuscade, son expédition est la 1ère à démontrer ce dont on se doutait depuis longtemps sans en avoir la preuve, de la rotondité de la Terre : « Depuis qu’un navire a quitté le port de Séville et, allant tout droit devant lui, est revenu à son point de départ, la preuve est faite que la terre est une boule et toutes les mers une seule mer. Dépassée la cosmogonie des Grecs et des Romains ; finies une fois pour toutes l’opposition de l’Église et les fables stupides sur les antipodes, où les hommes vont la tête en bas. On a établi définitivement la forme et l’étendue véritables de la terre ». C’est son lieutenant El Cano qui a terminé le voyage en 1522. Partie avec 5 navires et 265 hommes, l’expédition Magellan ne revient à Séville qu’avec un navire et…18 survivants. Sweig même sans être historien, sait rendre compte dans son écriture de ce périple légendaire avec beaucoup de souffle (voir par exemple le passage de la pointe sud du continent américain avec le détroit très dangereux auquel il a donné son nom).