Vassili Andréitch Brékhounov, le maître, et Nikita, le serviteur, sont comme on peut s'y attendre deux personnages aux destins bien distincts. L'un est omnibulé par la quête du profit et la réduction des coûts pour maximiser les bénéfices, tandis que Nikita est conditionné par sa formation paysanne : il est à l'abri de ces considérations matérielles et incarne le type récurrent du paysan exemplaire. En phase avec la nature, il accepte la vie et son destin sans même songer à y redire, et endure les vanités de son maître comme autant de manifestations de la fatalité. Manipulé, exploité, il survit par son grand coeur et n'éprouve aucune rancune.
Cette relation unilatérale, qui pille l'individualité du sous-fifre pour faire la richesse du maître, prend cependant un tournant majeur lorsque l'adversité mêle en commune mesure les nouveaux comparses. Vassili, obstiné par une acquisition qu'il craint qu'on lui ravisse, prend la tragique décision de battre à tire-d'aile vers son ultime affaire. Les intempéries, prévenants lors de leur départ, redoublent sur le chemin du retour. Plus d'échappatoire, les hésitations pour trouver leur itinéraire, déjà dépassées, cèdent à la nécessité de maintenir les corps à une température décente. La bourse ou la vie. Le maître a fait son choix, et condamne son domestique à une mort certaine s'il n'agit pas dans les plus brefs délais.
Dans un sursaut d'humanisme, et ce malgré ses pensées contradictoires, il jette dans un dernier souffle de vie toute la bonté qu'il avait économisé au cours de ses jours égoïstes. Inconsciemment, il donne la vie. Blotti contre ce qu'il considérait comme un homme d'une vulgarité sans nom, il abandonne SA vie. Mais dans les derniers instants, il comprend LA vie : alors naît le bonheur. Le vrai, celui qui dépasse les valeurs marchandes, et ne s'éprouve que dans le don de soi à autrui. La simplicité et le dénuement des dernières minutes, quand l'enveloppe charnelle prend son envol au fil du vent et rejoint les sentiments les plus nobles pour une dernière union. La compassion, la pitié, la solidarité, l'empathie, une myriade de termes nouveaux qui prennent jour en même temps que la nuit d'hiver ravit les dernières sensations du corps d'Andréitch. Une étoile du grand Nord s'éteint, ensevelie sous le blizzard, mais perdure la noblesse d'âme d'un serviteur qui achèvera de beaux jours avec le goût du sacrifice et de la reconnaissance comme ultimes présents d'un grand ami (tré)passé.
Adrast
6
Écrit par

Créée

le 15 déc. 2010

Critique lue 433 fois

1 j'aime

Adrast

Écrit par

Critique lue 433 fois

1

D'autres avis sur Maître et Serviteur

Maître et Serviteur
Adrast
6

Critique de Maître et Serviteur par Adrast

Vassili Andréitch Brékhounov, le maître, et Nikita, le serviteur, sont comme on peut s'y attendre deux personnages aux destins bien distincts. L'un est omnibulé par la quête du profit et la réduction...

le 15 déc. 2010

1 j'aime

Du même critique

Comprendre l'empire
Adrast
6

Comprendre 1/10ème de l'empire

Avec un titre aussi prétentieux, accolé au sulfureux nom d'Alain Soral, il est facile de frémir, de se dire "merde, lire un truc de facho c'est déjà être un peu facho". Et puis on se dit que ce...

le 17 mai 2013

24 j'aime

5

Persepolis
Adrast
4

Court d'Histoire, long de clichés.

Je partais avec un a priori négatif. Après quelques minutes, j'ai révisé mon jugement pour apprécier l'univers pas si niais et rondouillard que j'imaginais. Puis je me suis ravisé. Tout au contraire,...

le 27 mars 2011

24 j'aime

13

Samurai Champloo
Adrast
5

Douche froide.

D'emblée, Samurai Champloo se laisse regarder en se disant qu'on voit un énième manga détroussé de son scénario, foutu aux oubliettes avec son cousin l'originalité. L'absence d'intrigue est ce qui...

le 23 févr. 2011

21 j'aime

9