Georges Mallory et Sandy Irvine sont des noms de légende dans le monde de l’alpinisme. Quel sommet inédit ont-ils franchi ? Aucun. Ou plutôt, on l’ignore. C’est par ce mystère que les deux anglais allaient rentrer dans l’histoire, alors même qu’ils disparaissaient, le 8 juin 1924, à 12h50, à 8600 mètres d’altitude sur l’un des ressauts de la crête nord de l’Everest…Et il allait falloir attendre 29 ans pour que l’exploit de l’ascension du toit du monde soit validé par Edmund Hillary et Tensing Norgay, le 29 mai 1953.

Retour sur une époque d’aventures, où les grands sommets de 8000 mètres étaient des territoires inconnus et sauvages, où les expéditions dans l’Himalaya étaient des missions de six mois, et où ces gentlemans anglais partaient à l’assaut de montagnes hostiles vêtus comme des dandys (si cela nous semble aujourd’hui incroyable, précisons tout de même qu’il a pourtant été démontré que leur empilement de coton et de soie permettait de supporter des températures très basses), refusant l’usage de pitons, et escaladant en libre les parois abruptes.

Georges Mallory n’en était ni à son premier exploit, ni à sa première tentative de l’Everest. Il avait déjà acquis une solide réputation d’alpiniste, relatant lui-même ses aventures dans des livres et articles qu’il publiait régulièrement. Doté d’un physique plaisant, il était le personnage en vogue dans le milieu sportif de l’Oxford des années 1920, et beaucoup misaient sur sa réussite pour sa quatrième tentative.

Quant à Sandy Irvine, jeune homme de vingt-quatre ans passionné d’aviron, il doit en réalité en partie au hasard des circonstances et à la situation sa présence dans la cordée finale avec Mallory. Doué sur les parois – bien qu’encore novice – c’est en mécanique qu’il excelle par-dessus tout, compensant là le principal point faible de Mallory. Car bien que refusant l’usage de pitons, l’expédition était munie de bouteilles d’oxygène pour franchir le cap des 8000 mètres (pour rappel l’Everest culmine à 8850 mètres), hauteur fatale que les alpinistes surnomment la « zone de la mort ». Et, de fait, les deux aventuriers ne reviendront pas.

En 1999, une expédition américaine part à la recherche des corps des deux alpinistes anglais. Que s’est-il passé le 8 juin 1924 après que leur compagnon Noël Odell les ait aperçus évoluant rapidement sur la paroi ? Jusqu’où sont-ils allés ? Ont-ils étaient pris par une tempête sur le retour alors qu’ils évoluaient encore vers le sommet ? Pour beaucoup, la réalisation de cet exploit, si elle était avérée, serait la concrétisation d’un véritable mythe romantique : cela voudrait dire que l’Everest aurait été franchi des années avant l’exploit « officiel » d’Edmund Hillary, et les deux dandys se transformeraient alors en héros fantomatiques du toit du monde. Pour nombre d’autre alpinistes et spécialistes en revanche, cela relève de l’impossible, tant du point de vue de l’équipement de l’époque que des difficultés rencontrées par l’expédition. Mais le rêve perdure, à défaut de preuves du contraire…

Finalement, faut-il vraiment connaître la vérité sur les fantômes de l’Everest, au risque de pourfendre le mystère d’une montagne qui n’a déjà été que trop foulée par les très nombreuses expéditions touristiques et commerciales ?

C’est la question qui tracasse l’esprit pourtant très rationnel de l’alpiniste Conrad Anker, co-auteur de ce livre.

Que les amoureux de mystère se rassurent : l’énigme n’est pas encore élucidée, bien que certaines pièces du puzzle commencent à se mettre en place.

En effet, alors qu’il arpente la face Nord de l’Everest, à la recherche du corps de Sandy Irvine, Conrad Anker va faire une découverte stupéfiante en… : un corps d’albâtre, parfaitement préservé, à plat ventre, dos nu, les mains enfoncées dans le sol…George Mallory en personne ! Incroyablement intact, grâce à la magie de l’impitoyable montagne glacée.

Cette découverte fera le tour du monde ! L’équipe est même stupéfaite de la force d’une autre magie à l’œuvre…celle d’internet ! Alors qu’ils sont isolés du monde dans un campement retranché, les photos s’arrachent à travers tous les journaux du monde. Et les avis sont mitigés, partagés entre l’enthousiasme d’une telle découverte et la gêne face à la profanation du corps en repos de l’alpiniste anglais.

Cette nouvelle ne laisse pas indifférent. Son contexte est tout aussi fou. Anker croise plusieurs corps d’alpinistes morts dans ses recherches, véritable machine à remonter le temps, la montagne sert de linceul aux grimpeurs de tous les âges et de toutes les époques, comme si désormais ils lui appartenaient. Véritablement congelés, emprisonnés par le froid, où plus personne n’ira les chercher. Jusqu’à ce que…C’est à ce genre de rencontres qu’il faut semble t-il s’habituer lorsque l’on se rend sur l’Everest, et que les alpinistes ont appris à respecter, même si cette forme de « cohabitation » avec ces momies gelées surprendra le novice et le lecteur.

C’est dans ce cadre que la découverte du corps de Mallory allait jeter un caillou dans la marre, et dont les remous n’étaient pas prêts de s’arrêter.

Jusqu’où as-tu été, Georges, et où avez-vous était séparés avec Irvine ?

Alors que chacun cherchait le corps d’Irvine, comme s’il semblait évident que c’était la brebis la plus faible que la montagne aurait avalée et recrachée en premier, les projecteurs se braquent soudainement sur le plus jeune membre de l’expédition. Sa dépouille restant disparue, avec, on l’espère, l’appareil photo que les deux hommes avaient avec eux, et qui pourrait contenir le reportage photo de leur parcours.

Selon Conrad Anker, les chances de succès des deux hommes étaient faibles, voire inexistantes.

Reste que les deux hommes sont les figures de l’héroïsme d’une autre époque, celle où le monde offrait encore ce genre d’aventures et de découvertes, où des esprits passionnés pouvaient rêver d’expéditions et d’exploits inédits. S’ils avaient réussi, sans nul doute les deux alpinistes seraient entrés dans l’histoire. Et pourtant, icones à jamais immortelles de l’esprit sportif, ils sont les héros de générations de grimpeurs aussi déterminés que fous.

Car bien que déflorée, la montagne demeure hostile et sauvage. Conrad Anker relate pas moins de deux sauvetages en catastrophe qu’ils ont du mener au cours de leur mission, et le nombre de corps rencontrés, blottis à tout jamais contre la paroi, à la recherche d’un abri que la montagne leur refuse, à jamais pétrifiés dans un équipement parfois de dernière technologie, atteste de cette sauvagerie des lieux, loin de l’autoroute commerciale parfois critiquée par les esprits blasés.

Peut-être faut-il laisser à la montagne sa part de rêve et de légendes, sans quoi l’Everest ne serait plus le « toit du monde » mais une excroissance de la croûte terrestre inhabitable.

Emma Breton
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le 22 janv. 2013

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