"Nous sommes des animaux", plutôt une affirmation anodine mais que je me répète souvent, lorsque je trouve que nous faisons preuve de condescendance, sur notre piédestal d'animaux (beurk) le plus intelligent de cette planète. Et souvent cette affirmation peut aiguiller un bon nombre de réflexions tant on l'oublie souvent pour expliquer nos comportements, mais aussi pour redescendre d'un cran dans la mégalomanie générale.
Manières d'être vivant parle de ça, et c'est pour cette première raison que j'ai eu envie de le lire. Mais au final, il a déployé tellement plus que cette première assertion un peu banale, tellement de matières à penser pour enchanter le monde et ma présence au monde. J'en ressors avec des pages et des pages de citations consignées, et un regard rafraichi sur l'existence et ses modalités.
Comment la compréhension du vivant, incluant ma propre animalité, transforme-t-elle mon rapport au monde ? Quels sont les fils d'interdépendance, d'empathie, les parallélismes que je peux tirer de ces différentes façon d'être vivant ? Comment notre déconnexion du tissu du vivant, notre perte de gratitude, notre lecture biaisée de la théorie de l'évolution nous a conduit à un rapport mortifère envers le vivant (je n'utilise pas nature puisque nous en faisons partie).
Baptiste Morizot est un philosophe ancré au réel, qui pratique le pistage (ici des loups) et interroge le rapport de l'homme avec les autres vivants à partir de ses observations situées. Pour moi, ça fait toute l'originalité et la richesse de cette lecture : on alterne récits de pistage de loups (passionnants), réflexions "cahiers de bord" d'un homme qui poétise sa recherche, les rencontres, les mystères qu'elles déploient, mais aussi assise philosophique solide qui rend la lecture dense et pas seulement poétique. C'est très souvent d'une poésie lumineuse, parfois exigent dans les références et l'approche philosophique, mais qu'est ce que ça en vaut le coup.
J'ai beaucoup aimé sa critique des fondements de la modernité occidentale, notamment notre rapport dual Nature/Culture qui nous empêche de nous penser en interdépendance avec tout le tissu vivant. Et j'ai d'autant plus apprécié qu'il ne s'égare pas dans une nouvelle mystique, une vision romantique de la vie "sauvage", une essentialisation des autres sociétés animales. Il montre admirablement comment la pensée de l'interdépendance au sein du vivant n'est pas un nouvel ésotérisme ou une forme de sensiblerie, mais se fonde sur la lecture et l'analyse des dynamiques de tissages écologiques (au sens d'interactions des êtres vivants entre eux et avec leur milieu).
Bien sur c'est de la philo, bien sur ça peut sembler parfois un peu aride et peu suivi d'effets, mais c'est la première brique d'un projet de société. Il y a du boulot...