On ne mesure pas l'importance et les implications d'un tel texte sur la compréhension humaine de la marche du monde.


A juste titre, cette somme impressionnante valut le prix nobel de littérature à son auteur, en 1981, 20 ans après sa publication (1960). Consécration amplement méritée pour cet auteur qui cherchait à sonder entre autre les motivations des grands totalitarismes qu'il avait pu connaître dans sa jeunesse et le début de sa vie d'adulte.


Elias Canetti, un des intellectuels juifs les plus brillants de son siècle, même si bien moins connu auijourd'hui qu'Einstein ou Frantz Kafka (même méconnu, sans doute au regard d'une certaine complexité et sophistication qui rendrait son oeuvre peu abordable), avait usé pour cette vaste épopée d'une méthode assez particulière. C'est à dire que la méthode de Canetti ne descend ni d'une doctrine comme le marxisme, ni du structuralisme, ni de quelque courant méthodique que ce soit, mais est vraiment propre à l'auteur, très littéraire et poétique, à la fois scientifique et intuitive. On pourrait en réalité la rapprocher de celle de Roland Barthes dans ses Fragments d'un discours amoureux. Masse et Puissance (le titre m'a irrémédiablement séduit) est le fruit d'un travail à la fois théorique et riche de nombreux exemples, d'une originalité remarquable, qui prit à son auteur une bonne vingtaine d'années. Canetti entend d'abord parler des lois de la masse et des manifestations de ces lois dans le monde entier.


Il relie ensuite la notion de masse avec celle voisine et connexe de puissance. Ses exemples sont tirés de tous les milieux, de tous les pays, de toutes les époques, d'où la portée quasi-biblique de l'ouvrage. La première partie du livre porte essentiellement sur les totalitarismes tandis que par la suite Canetti élargit, étend son propos aux civilisations d'Afrique, d'Océanie, d'Asie, etc... Il y démontre avec modestie que les lois propres au phénomène qu'est la masse ( masse de militants nazis organisant des lynchages en place public, masse de cadavres des massacres et des pogroms, masse des morts qui se rallient au combat des vivants ou s'en désolidarisent, masse des guerriers morts au Valhalla dont les combats continuent dans l'au delà, masse des danseurs ou encore de l'Eglise ne formant qu'un seul corps) sont, en dépit de tout ce qui sépare les civilisations, reliées par des dénominateurs communs. On pourrait tout aussi bien parler d'archétypes. On ne peut s'empêcher ici de penser au Monomythe de Joseph Campbell, qui est encore dans ma liste d'auteurs à lire, ou encore à la pensée jungienne. Pour résumer, ici le concept de masse ne se réduit pas au sens un peu limité qu'on lui attribue aujourd'hui, à savoir un phénomène d'endoctrinement collectif, réunion d'individus qui n'en sont plus justement au sens où ils sont agrégés à un tout uniformisé, animant aussi bien les partis politiques, les communautés religieuses que les phénomènes de réunions collectives telles que les compétitions sportives, il recouvre toute sa polysémie, son entière et pleine signification. Il éclaire de sa lumière tous les récits épiques de toutes les époques, il renouvellera à n'en pas douter votre regard sur le monde, sur la vie, sur la mort, sur l'homme et tout le reste.


A lire pour les téméraires, les courgaeux, les audacieux et les patients !

Hot-Saucisse92i
10
Écrit par

Créée

le 4 févr. 2022

Critique lue 129 fois

3 j'aime

Hot-Saucisse92i

Écrit par

Critique lue 129 fois

3

Du même critique

En rade
Hot-Saucisse92i
6

Désenchanté

Qui n'a jamais souhaité quitter le bruit assourdissant des villes pour se construire un mât de cocagne dans un hameau bucolique ? En Rade (qu'on pourrait traduire "A l'Abandon") nous invite à y...

le 23 janv. 2024

Au cœur des ténèbres
Hot-Saucisse92i
7

Critique de Au cœur des ténèbres par Hot-Saucisse92i

Un livre au titre séduisant, doté d'une aura aussi prestigieuse que sulfureuse, dont le postulat de départ est à même de séduire tout jeune homme (car comme dit ma mère, c'est de la littérature pour...

le 9 nov. 2018

Grave
Hot-Saucisse92i
6

Dégout et des couleurs

Au sortir de ce film, je me trouvais probablement dans le même état de déboussolement et de malaise qu'un étudiant de médecine à la fin d'une semaine acharnée de bizutage des ainés. Ce film ne m'a...

le 29 mars 2017