Pascal a écrit un certain nombres de fragments qui servent de base à Bourdieu pour développer une réflexion sur le champ scolastique. Je résume ici les idées principales, pour vous donner (ou pas) envie de lire les méditations pascaliennes

Ce que remarque Bourdieu dans les premiers chapitres, c'est que la disposition scolastique, c'est-à-dire le fait d'être assez éloigné des urgences de la vie ordinaire pour pouvoir produire un discours savant, ignore paradoxalement les conditions qui la rendent possible : c'est l'illusio. Au même titre qu'on ignore (ou feint d'ignorer) le fait que la loi, et l'Etat reposent sur des bases arbitraires, on tend également à ignorer que les champs savants (et notamment la philosophie) procèdent de la même ignorance fondatrice. L'histoire de la philosophie est une histoire anhistorique, comme si la raison était la même en toutes conditions et que son déploiement était complètement déconnecté des conditions historiques. Bourdieu plaide alors pour une approche plus historiciste de la philosophie.

Il se paie aussi une critique assez intéressante de l'universalisme, qu'on entend rabâcher à toutes les sauces de nos jours :

L'universalisme abstrait sert le plus souvent à justifier l'ordre établi (...) au nom des exigences formelles d'un universel abstrait (la démocratie, les droits de l'homme etc.) dissocié des conditions économiques et sociales de sa réalisation historique, ou pire, au nom de la condamnation ostentatoirement universaliste de toute revendication d'un particularisme...

L'universel (et le goût de l'universel) est socialement situé et, paradoxalement, ne serait accessible à tous. Idem pour ce qui est de l'universalité du goût chère à Kant, pour Bourdieu rappelle que seul l'oubli des conditions de production du plaisir esthétique permet un tel jugement. Il faudrait donc limiter les prétentions à l'universalité de l'esthétique kantienne.

La deuxième partie du livre qui s'intéresse à l'habitus (cette disposition, mini-société, monde qui est présent en nous, incorporée, et qui nous permet de déchiffrer le monde qui nous a fait). C'est clairement la partie la plus intéressante du livre, revenant sur sa conception de l'habitus, à travers maints exemples très intéressants.

Le livre s'achève sur le réflexion sur la raison d'être sociale. Toujours en partant de Pascal qui remarquait la "misère de l'homme sans Dieu", Bourdieu cherche à comprendre la nature de cette misère. En s'inspirant de son expérience en Algérie auprès de chômeurs et en se basant sur des passages du Procès de Kafka, il énonce l'idée que la société donne une justification à l'existence des individus, et que c'est cet état qui s'apparente le plus à l'idée pascalienne d' "homme sans Dieu", la société ayant le pouvoir d'assigner une valeur symbolique aux individus. Cette reconnaissance sociale, forme d'élection divine permet aux individus de justifier leur existence à leurs propres yeux.

C'est ce qui fait dire à Bourdieu, en reprenant les mots de Durkheim, que "la société, c'est Dieu"

SamiEulmi
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le 3 nov. 2023

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