"Tout sujet vit dans un monde où il n'y a que des réalités subjectives et où les milieux ne représentent eux-mêmes que des réalités subjectives. Celui qui conteste l'existence des réalités subjectives, n'a pas perçu les fondements de son propre milieu."
C'est la conclusion qui claque de Milieu animal et milieu humain, l'œuvre majeure de Jacob von Uexküll.
On ne peut pas encore dire que Von Uexküll (tellement stylé ce nom, au passage), soit un éthologue au sens moderne du terme, par contre on mesure avec cette lecture à quel point il a posé les bases conceptuelles de la discipline !
Dans cette ouvrage accessible et vulgarisé à l'aide d'illustration et d'exemples concrets, Jacob (plus rapide et sympathique à écrire) déploie patiemment la notion d’Umwelt, c'est-à-dire le monde propre à chaque espèce, structuré par sa perception et son action, et révolutionne la manière de penser l'existence animal, son rapport à l'environnement... et in fine, notre rapport à la Réalité, qu'on croit par défaut objective et universelle.
C'est de la philosophie de la nature plutôt que de l'éthologie au sens moderne : ici pas de méthodologie scientifique, d'hypothèses à valider ou de protocoles expérimentales... mais des intuitions clairvoyantes et une proposition de bases conceptuelles pour penser les millions d'être au monde.
Je ne pensais pas un jour être passionnée par l'Être au monde d'une tique ou d'une méduse, encore moins d'une patelle ! Jacob montre comment les Umwelt simples de ces animaux peuvent nous amener à déchiffrer des Umwelt plus complexes (et donc moins prédictibles), et penser la Nature (et la Réalité, ouais je sors les majuscules, on tente de sortir de la caverne platonicienne ici !) comme une multiplicité presque infinie de propriétés objectives, avec un Un qui nous est, pour le moment, inaccessible. Renversant.
Reste maintenant à poursuivre la pensée en lisant les grands éthologues et philosophes qui ont pris ce chemin désormais familier, car défriché par le travail conceptuel de Jacob von Uexküll : j'ai pour l'instant noté la piste du biologiste Konrad Lorenz qui va repartir de la notion d'environnement fonctionnel en étudiant le comportement des animaux sauvages (et en y ajoutant les apports de Darwin) ou encore celle Merleau-Ponty et sa phénoménologie de la perception, pour le versant philosophique.