Confession - Apologie de Julien, empereur philosophe et barbu

Confession - Apologie de Julien, empereur philosophe et barbu…

Je suis passionné par la littérature antique grecque et romaine. Quand j’ai achevé la lecture du Misopogon écrit par l’empereur Julien, j’ai eu le sentiment d’une œuvre unique en son genre. Seule l’œuvre de Lucien de Samosate (2ème siècle), satiriste dans l’âme, pratiquant un humour dévastateur, se rapproche quelque peu du petit livret de Julien écrit pendant l’hiver 362 à Antioche.

Le Misopogon est un écrit de circonstance qui exige de connaître le contexte historique de sa publication. Julien, empereur depuis novembre 361, s’installe dans la grande ville d’Antioche avec son armée le 18 juillet 362 afin d’y préparer une campagne militaire contre l’empire perse, campagne qui commencera le 5 mars 363. Le moins que l’on puisse dire c’est que Julien n’est pas populaire et que sa présence à Antioche suscite de la part des habitants de nombreuses critiques et quolibets. On lui reproche jusqu’à son aspect physique (il porte la barbe), d’où le titre humoristique de Misopogon qui signifie « celui qui hait la barbe ». L’empereur Hadrien avait lancé la mode de la barbe puis, comme toutes les modes, elle avait fini par passer. A quatre reprises Julien signale les moqueries des habitants par rapport à sa barbe qu’il considère comme un signe de virilité opposé à la mollesse des mœurs orientales : « Ainsi dans votre ville entière on a dit et entendu tous les bons mots décochés contre cette pauvre barbe et contre l’homme qui ne vous a jamais offert ni ne vous offrira jamais en spectacle un aimable caractère. Car il ne saurait vous offrir en spectacle un genre d’existence comparable à celui que vous ne cessez de mener et que vous désirez aussi rencontrer chez ceux qui vous gouvernent » (n°36). Les quolibets sur la barbe de Julien visent plus profondément son style de vie austère et philosophique diamétralement opposé à celui des antiochiens qui ne recherchent que plaisirs, spectacles et divertissements. Julien se situe dans la lignée de l’empereur philosophe Marc Aurèle (161-180) tandis que les habitants d’Antioche auraient préféré avoir à la tête de l’Empire un nouveau Lucius Verus, ce co-empereur adonné au culte du plaisir et qui gouverna avec Marc Aurèle jusqu’à sa mort en 169. Le Misopogon illustre donc l’opposition entre deux styles de vie irréconciliables : celui de l’empereur et celui de la population d’Antioche. En caricaturant d’un côté la vertu, de l’autre le plaisir. Contrairement à un Tibère qui abusait de la loi de lèse-majesté et à certains dirigeants politiques actuels qui font des procès pour un tweet ou une prise de parole jugés déplacés ou injurieux, Julien choisit de répondre par l’humour en plaidant coupable et en s’accusant lui-même des défauts et tares dont la population s’amuse à l’accabler… A l’opposé d’un Caracalla à la susceptibilité maladive qui fit massacrer 15 000 habitants d’Alexandrie pour les punir de leur insolence à son égard, Julien écrit le Misopogon puis quitte Antioche pour Tarse en février 363 (décision qui rappelle de manière paradoxale pour un empereur fortement attaché à la religion traditionnelle des Romains une consigne de Jésus dans les Evangiles… cf. Matthieu 10, 14). « Pour ma part, la loi m’interdit d’accuser nommément des personnes qui, sans que je les aie offensés le moins du monde, entreprennent de me marquer leur inimitié… Ce chant contient de nombreuses et graves injures qui, Zeus m’en est témoin, ne visent pas autrui (le pourrais-je ? La loi s’y oppose), mais l’auteur en personne et l’écrivain : nulle loi n’interdit d’écrire contre soi-même éloges ou blâmes. Or, faire mon éloge, malgré mon vif désir je ne le peux » (n°1.2). Le ton est à la fois sérieux (respect de la loi) et rempli d’un humour qui fait le charme de cet opuscule. La tactique de Julien est la suivante : au lieu de répondre aux attaques virulentes des habitants d’Antioche en faisant leur procès ou en usant de la violence à leur égard, il fait siennes ces attaques et les confesse comme ses propres défauts… sachant fort bien que le lecteur tournera cette confession en apologie, ce blâme en éloge, et que, par ricochet, ce seront les antiochiens qui seront l’objet des reproches faits à l’empereur… Au n°8 nous avons cette délicieuse description des habitants d’Antioche : « Oui, vous êtes tous beaux, grands, lisses et imberbes et, vieux aussi bien que jeunes, vous aspirez à la félicité des Phéaciens, au linge frais, aux bains chauds et aux lits, plutôt qu’au respect dû aux lois ». Face à la population d’Antioche qui veut être « absolument libre » de jouir sans se soucier des dieux et qui supporte très bien la corruption de ses riches notables, l’empereur se présente comme le sévère gardien des lois, épris de justice sociale : « faire en sorte et prévoir que les pauvres ne soient pas brimés par les riches » (n°9) ; « constatant que la plainte populaire était fondée et que le marché était bloqué non par pénurie de marchandises mais par l’insatiable avidité des propriétaires, j’ai procédé à une taxation équitable de chaque denrée et fait publier partout mon édit » (n°41) ; « en cette circonstance, qu’on fait vos riches ? Le blé qu’ils avaient à la campagne, ils l’ont vendu plus cher au marché clandestin, faisant ainsi supporter à la communauté leurs propres pertes » (n°41). Julien n’est pas l’empereur des riches ! La satire du Misopogon révèle en fait le haut idéal politique, philosophique et religieux de cet empereur au règne si bref. C’est en ce sens qu’elle constitue son apologie. Julien a conscience que son pouvoir d’empereur lui vient des dieux (« Cet immense empire que m’ont donné les dieux… la place où la volonté divine m’a aujourd’hui installé », n°23 et 25) et pour lui la perfection de l’homme consiste à servir les dieux en toute sagesse (n°11). Le n°9 expose d’une manière magnifique, toujours sous la forme des reproches des Syriens par rapport au mode de vie de l’empereur, sa vision de la sagesse. C’est bien cet idéal philosophique élevé de leur empereur que les habitants d’Antioche ne peuvent plus supporter : « nous ne tolérons pas seulement d’entendre parler de nous soumettre aux dieux, pas plus que de nous soumettre aux lois : il est si doux d’être absolument libre » (n°9). Julien n’était pas seulement un empereur pieux, sa spiritualité philosophique nous fait aussi entrevoir une vie mystique : « Il conviendrait à des hommes sages et réservés, qui demandent aux dieux leurs faveurs, de prier en silence » (n°11). Son sens aigu de la justice le pousse à se défendre face à ses opposants en se présentant comme « quelqu’un qui, dans toute la mesure du possible, a le désir d’être un grand bienfaiteur de l’humanité » (n°39). En parlant de la formation que son précepteur lui a donnée dans sa jeunesse, Julien évoque ce que représente pour lui l’idéal moral : « trouvant ma jeunesse éprise de discussions philosophiques, il m’a convaincu que si je m’attachais à imiter en tous points ces modèles, j’arriverais à dépasser non pas, peut-être, tel des autres hommes – je n’ai pas à rivaliser avec eux – mais, très certainement, moi-même » (n°24). Redescendons sur terre pour signaler une information que Julien nous donne sur l’eau de la Seine et qui fera bien des jaloux… (il a séjourné à Lutèce en tant que César de Constance II trois hivers d’affilé à partir de 357) : « le fleuve fournit une eau très agréable et très pure à voir comme à boire si l’on en a envie » (n°7)

Le 26 juin 363 Julien est blessé au combat lors de la campagne contre les Perses et meurt dans la nuit. Les empereurs romains lorsqu’ils engageaient une guerre ne restaient pas dans leur palais du Palatin mais étaient prêts à faire le sacrifice de leur propre vie… Avant Julien, les empereurs Dèce, Valens et Maxence sont morts au combat tandis que Valérien fait prisonnier par les Perses mourut en captivité.


PadreBob
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le 16 sept. 2025

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