C'est un tout petit livre (en fait il y en a deux dedans, mais il est pertinent de les lire à la suite tant le second prolonge les réflexions du premier). Je pense qu'aujourd'hui il serait assez daté sur les données scientifiques en elles-mêmes, mais sa valeur tient à sa portée philosophique.
Ce que propose Uexküll c'est d'expliquer comment animaux perçoivent le monde, et par le fait de le percevoir agissent dedans, et par le fait d'agir dedans le créent subjectivement. Il développe la notion de milieu qui n'est pas à comprendre comme l'espace que l'on partage avec d'autres espèces, mais véritablement la perception que l'on a de ce milieu et comment cette perception détermine les actions qui sont possibles à l'intérieur de celui-ci.
D'autre part (et c'est l'objet du second livre) il développe la notion de signification, la signification n'est pas tant le sens du visible, mais l'utilité envisageable d'un objet en tant qu'il est déterminé par sa perception dans un milieu donné. Ce que montre Uexküll c'est que tout objet est investit d'un certain nombre d'utilités potentielles en fonction de la perception qu'on en a. C'est ce que caractérise fondamentalement l'expérience : le fait de pouvoir accumuler par la perception des usages des objets de notre monde.
Autrement dit pour Uexküll - et c'est le cœur et tout l'intérêt théorique de son petit livre - le monde ne nous est pas donné. On arrive pas dans un monde tout fait, pas plus qu'il n'est qu'une pure construction subjective (ce n'est pas du solipsisme). Le monde est un processus relationnel entre le sujet et son environnement au moyen de la perception et de la pratique.
Et je pense que c'est aussi la limite du bouquin, c'est qu'il ne va parfois pas assez loin dans cette idée (par rapport à un Simondon par exemple). Parce que son étude ne porte pas réellement sur l'interaction d'un sujet à son milieu, mais véritablement sur la perception qu'il en a. Autrement dit, il part des grilles d'analyse sensorielles que les animaux ont du monde, mais cela présuppose en fait d'ancrer biologiquement la perception (qu'il appelle milieu) d'un monde (s'il faut faire une une distinction) qui n'en est pas moins donné.
D'autre part pas mal de notions sont quand même assez problématiques comme celle de "plan" ou de comportement "magique" (il y en a d'autres mais je les ai plus en tête) qui sont comme les points de butée de sa théorie, et de bascule vers une conception spiritualiste voire déiste du vivant.
Cependant, le livre est également important pour tout un tas de questions qu'il amorce et laisse en suspend, comme celle de la cohabitation qui est définie en creux comme un conflit entre milieux, c'est-à-dire entre perceptions et usages de celui-ci. Le gros bémol, et c'est tout à fait légitime de le penser scientifiquement, c'est qu'il y voit donc un conflit entre espèces et ne pense pas vraiment les sujets à l'intérieur de celles-ci, et que ces espèces sont biologiquement déterminées selon un "plan" (moyen pour lui de dire qu'elle n'ont pas d'objectif "téléologique") et les réduit parfois encore à un modèle mécaniciste à la Descartes (qu'il prétend pourtant dépasser). Autrement dit la chaîne est la suivante : le plan détermine la perception, qui détermine l'usage, qui détermine l'objet, qui détermine le monde vécu. Or sa notion transcendantale de "plan" crée une chaîne de nécessité qui n'offre aucune agentivité propre aux espèces, problème qu'il aurait été facile de résoudre en remontant la chaîne à l'envers et en partant de la contingence du monde vécu, qui ne saurait se réduire à la perception du milieu, à moins de rester dans une conception encore très hylémorphique (ce que Simondon dépasse à mon avis, dans les rapports qu'il décrit entre un sujet et son environnement).