C'est un lieu étrange, personne n'y prête attention, et pourtant, il est partout autour de nous. Partout, et nulle-part. Il joue à cache avec les mots, se glissant dans les conversations :
- Mais où tu étais ?
- Nulle-part, je rêvassais.
Sans que l'on y prenne garde, il amène le paradoxe dans notre beau monde si cartésien. Car oui diable, comment ce nulle-part, immatériel et intemporel, peut-il donc exister ? Un joli tour de passe-passe, que tout un chacun exécute avec brio, sans même y penser, en buvant son café ou en s'habillant le matin.
Ce thème du « nulle-part » a été magistralement interprété par l'un de mes auteurs fétiches : Neil Gaiman, dans son livre « Neverwhere » (notez au passage le jeu de mot sympathique s'y glissant). Il en fit même bien plus que ça, jouant à son tour le magicien, faisant glisser la métaphore vers le réel, un réel bien plus riche et captivant que ce que nous nommons d'ordinaire « réalité ». Car c'est lorsque Richard Mayhew, dont l'existence morne semble réglée sur le modèle d'une horlogerie suisse, rencontre par hasard Porte, jeune femme étrange au nom tout aussi étrange, que sa vie bascule vers un univers foisonnant, riche de poésie, mais aussi de dangers.
Une porte donc, au sens tant littéral que figuré, ouvrant le sésame vers ce drôle d'endroit qui n'existe pas. Ici, chaque mot a un sens, bien réel, et le langage se fait labyrinthe, nous transportant dans les méandres et rebondissements d'une aventure aux multiples facettes, qui mènera Richard jusqu'aux portes... du Paradis ? Ainsi s'esquisse une « Cour des Miracles » toute baignante du célèbre « fog » londonnien, où l'on rencontre anges, troubadours, aventuriers, vampires, moines guerriers, et tant d'autres personnages inoubliables, dans ce « Londres d'en bas » où les lois de la physique et de la raison n'ont plus cours, et où les rats, oui ces petites bêtes insignifiantes peuplant nos égouts, font figure de grands sages. Un trait jaillissant, traversant littéralement et de manière fulgurante toute une existence, qui se lit et se relit sans modération. Bienvenue dans un monde où le bas est en haut, et où le haut est en bas ;).
- Mais où tu étais ?
- Nulle-part, je lisais.
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