"Son enseignement fut pour moi incommensurable."

Depuis mes études je reçois chaque mois par mail le catalogue des sorties de chez Honoré Champion. Au début du mois de juin, la lettre d'information annonce ce livre, issu de la thèse de l'autrice, et consacré à deux de mes auteurs préférés. Le passage d'"Ecce Homo" où Nietzsche qualifie Pascal de "frère" m'avait intrigué et réjoui, et je me souviens m'être dit alors, quand je le lisais il y a quelques années, qu'il faudrait un travail de fond concernant la lecture de Pascal par Nietzsche (qui est toute d'appropriation -pour ne pas dire de trahison, parfois-, comme toujours chez Nietzsche). Le livre coûtant 90€, j'ai mis sur X/Twitter un post indiquant que c'était bien trop cher pour mon porte-monnaie. Il s'avère que le message a un peu marché et qu'Honoré Champion me l'a envoyé gratuitement, -que Corentin Breton en soit remercié.

Je ne suis pas certain d'avoir déjà lu une thèse de bout en bout. (A l'université, on va surtout dans les index, pour chercher une information précise.) Si c'est la première fois ici, ce n'est pas seulement parce que le double sujet m'intéressait, c'est aussi parce que la prose était nette, le propos toujours intéressant, et les sujets, malgré leur apparente spécialisation, d'un intérêt plus que haut. Par exemple, la question de la valeur de vérité chez Nietzsche est un point essentiel et hautement intéressant d'un point de vue métaphysique ; Lucie Lebreton en fait une relecture très stimulante à travers ce qu'il reprend à Pascal sur cette question. Elle donne aussi à lire beaucoup de fragments posthumes qui m'étaient inconnus, car Nietzsche y évoque Pascal à de nombreuses reprises, en masquant ensuite la présence pascalienne lorsqu'il passe au texte publié.

La structure d'ensemble, allant de l'analyse fine des passages consacrés à Pascal dans l'œuvre nietzschéenne, pour aller vers une interprétation plus complexe de la fin du Zarathoustra, fonctionne sur un rythme ascendant très agréable. L'autrice semble aussi avoir pensé au lecteur non-universitaire (c'est-à-dire moi, entre autres) en revenant à plusieurs reprises sur de mêmes citations, pour les réinsérer dans des réflexions chaque fois plus poussées. On ne s'y perd pas, nul besoin d'être spécialiste pour comprendre, bien que ce qui soit dit demeure très riche et profond.