Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Jean-Louis Brunaux (directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la civilisation gauloise) nous livre ici un ouvrage au titre résolument provocateur dans le but de rétablir la vérité sur ce peuple protéiforme et méconnu. Nos ancêtres les Gaulois fait bien sûr allusion à cette fameuse phrase que tout Français digne de ce nom a entendu pendant sa jeunesse que ce soit à l'école ou en dehors. L'auteur, en 300 pages environ, s'attache à démystifier certains pans de la culture gauloise et en éclaircir d'autres oubliés au travers de cinq parties divisées en chapitres dont voici un florilège : La Gaule est-elle la France ? ; La Gaule était-elle couverte de profondes forêts ; Des guerriers farouches et querelleurs ? ; Un art gaulois ? ; Des sacrifices humains ? ; Les druides, des prêtres-magiciens ? ; Les Gaulois ont-ils tout appris des Romains ? etc.

Dans la première partie, l'auteur cherche à savoir si finalement la Gaule est un pays qui préfigure la France. Sur la question des délimitation géographiques, c'est en grande partie vrai mais cela reste des délimitations géographiques car il n'y avait pas vraiment d'unité politique ou économique à l'intérieur de celle-ci. Par ailleurs, les Gaulois ont largement façonné les paysages que l'on croise même encore aujourd'hui, les techniques d'agricultures avancées étaient bien connues des Gaulois. Est-ce que la Gaule était une nation ? Clairement pas, en son sein vivait un certain nombre de peuples Gaulois qui avaient plus ou moins conscience d'appartenir à la même civilisation mais qui n'hésitaient pas à s'affronter si nécessaire pour des raisons économiques ou d'influence.

Dans la deuxième partie, l'auteur pose la question de savoir si les Gaulois sont un peuple fruste ? Comme à peu près toutes les légendes que l'on raconte c'est en partie vrai et faux. Uderzo et Goscinny ont rendu hommage au Gaulois à travers la célèbre BD mondiale Astérix, « conditionnant » des générations de Français à certains aspects de cette civilisation pas toujours justifiés historiquement. Les Gaulois étaient réputés dès l’Antiquité pour être d'excellents guerriers, courageux et fiables. Les Romains recrutaient les Gaulois du sud-est de la France ou du nord de l'Italie pour participer à leurs conquêtes et c'est grâce à Jules César (entre autres) que les historiens documentent avec certitude cette réputation de guerriers farouches. Si les Gaulois vivaient dans des maisons en bois, la réputation qu’ils vivaient dans le dénuement le plus total dans des huttes sans confort est faux. Leur habitat était rural ce qui collait avec leur mode de vie mais la maison pour les plus riches pouvaient être ornementées, être dotées d’une cour intérieure, d’un lieu de culte, fortifiée etc. En fin de partie, la question de l’existence d’un art Gaulois est posée. Sur le plan graphique, les Gaulois n’ont pratiquement rien laissé jusqu’à nous (pas de sculpture ni de peinture) si ce n’est des pièces de monnaie et des bijoux sur lesquelles on constate un goût prononcé pour l’abstraction, les formes géométriques pures et simples. Ce qui a valu encore une fois pour cette civilisation le mépris des historiens et chercheurs du XIXème siècle qui les comparaient systématiquement avec la production artistique des Grecs ou des Romains de l’Antiquité. Si la figuration n’est pas privilégiée c’est en grande partie pour des raisons spirituelles. Côté artistique, les Gaulois étaient amateurs de musique (barde) : lyre, carnyx, instruments à vent divers…

La troisième partie s’attarde sur la dimension spirituelle, Jean-Louis Brunaux propose de mieux comprendre la religion des Gaulois. On commence directement par la pratique des sacrifices humains. Non les Gaulois ne pratiquaient pas les sacrifices humains ritualisés en l’honneur de divinités plus ou moins obscurs. Leur justice pouvait amener à des condamnations à mort, on pense aux criminels, aux captifs de guerre mais ils étaient tués et c’est tout. Les druides étaient très puissants du temps des Gaulois car ils étaient un peu l’équivalent des prêtres au Moyen-Âge et, de par leur connaissance étendue des sciences (médecine, technologie, calcul, géométrie…) et de la nature (botanique, agronomie, calendrier…), avaient aussi tout comme les prêtres, une grande influence en politique auprès des chefs de clans. Question religion, les Gaulois croient en l’âme immortelle. Celle-ci obéit à un cycle de réincarnations successives dont elle ne s’échappe qu’à certaines conditions en rapport avec la vie effectuée sur terre. Cette idée de pureté de l’âme permettant de quitter le cycle des réincarnations et de gagner le paradis conforte l’idée que les druides possédaient un pouvoir de moralisation fort. C’est ce pouvoir qui peut tenir une civilisation debout et d’éviter de basculer dans la sauvagerie. Enfin, les bardes sont abordés plus en profondeur dans ce chapitre sur la religion des Gaulois pour concurrencer un peu l’image d’Assurancetourix à la fois burlesque et iconique. Les bardes avaient un véritable rôle dans l’ascension de l’âme des guerriers morts au combat. Par leur chant et leur instrument, les bardes assuraient que l’âme trouve le chemin des dieux, c’est pourquoi ils participaient toujours à leur manière aux champs de bataille.

La quatrième partie est la plus technique et la plus complexe. L’auteur cherche à établir les relations politiques réelles entre les Gaulois et Rome. Ce que j’en ai retenu c’est que globalement la conquête par Jules César ne s’est pas faite que par les armes et qu’une part non négligeable de Gaulois se sont fait coloniser sans broncher car, au fond, cela ne changeait pas grand-chose à leur quotidien d’où le génie de l’empereur romain. Si certains clans étaient hostiles et ont cherché l’unification des peuples contre l’envahisseur romain, cela ne reflète pas l’état d’esprit général. C’est la relecture de l’histoire des Gaulois au temps des nationalismes (fin XIXème siècle et du début du XXème siècle) qui va redéfinir les contours de l’histoire ambigüe entre les Gaulois et Rome notamment en mettant en avant la personnalité historique de Vercingétorix. L’apport de la culture romaine va permettre à une élite gauloise de s’enrichir grandement, de diversifier l’économie, d’approfondir et développer de nouvelles technologies, de pacifier la Gaule, de découvrir les loisirs.

Il serait donc faux d’affirmer que les Gaulois ont tout appris des Romains. Mais on aurait partiellement tort de minimiser les enseignements de ces derniers. Il serait plus juste de reconnaître qu’au contact de leurs voisins italiques, le Celtes de Gaule ont changé leurs manières de vivre, peu à peu, mais irrémédiablement. Ce fut tout d’abord la façon de faire de la politique et de participer à l’administration, puis très vite, parce que les deux étaient liées dans la conception qu’en avaient les Romains, la pratique de la religion. La perception des dieux, la place de l’homme dans l’univers, la représentation de l’au-delà ne se sont modifiées que plus tard, parce que, dans ces domaines, l’imaginaire des Romains étaient plus pauvre que celui auquel il allait se substituer. p.266,267.

La dernière partie est celle plus politique. Que reste-t-il des Gaulois ? Sont-ils nos ancêtres ? Que nous ont-ils laissé ? De vastes questions dont les réponses, comme toutes les autres au-dessus, ont varié au gré de l’histoire et des besoins des contemporains. Il y a cent ans, c’était un fait. Les Gaulois sont nos ancêtres, ils se sont unifiés contre l’invasion des Romains autour d’un chef charismatique Vercingétorix. Il a perdu mais les Francs sont revenus quelques siècles plus tard finir le travail du célèbre Gaulois et unifier les Français et le royaume. Cette vision très caricaturale et empreinte de raccourcie est pourtant la version officielle de l’histoire à la fin du XIXème siècle car comment justifier la présence réelle, archéologique, des Gaulois sur notre sol quand on répète depuis 1500 ans à nos rois qu’ils sont les descendants du guerrier grec légendaire Enée de Troie ? Mythifier l’origine des Gaulois avait du sens pour souder le peuple français autour de la question allemande et pour solidifier l’instauration de la République. A l’époque de l’écriture de ce livre (2008) cela paraissait désuet et ringard, Jean-Louis Brunaux nous le fait comprendre en filigrane. Mais je pense que cette question de l’origine des français en 2022 se pose. La volonté de celui-ci de se souder autour d’un peuple lointain, méconnu mais toujours dans les cœurs de nombre d’entre nous va ressurgir tôt ou tard. Notre époque est sombre et le pacte républicain se fissure de jour en jour… la question tribale et ethnique s’impose à nous qu’on le veuille ou non (et pas du fait des gens d’extrême-droite) et les Gaulois font, malgré eux et à leur corps défendant, d’excellents porte-drapeau. Je ferme la parenthèse. Pour reprendre l’ouvrage de Brunaux, les Français proviennent de différents peuples antiques que ce soit les Celtes, les peuples Gaulois, le Romains, les Francs et ont formé un tout relativement uniforme à partir du haut Moyen-Âge. Les traces de leur lointain passage ont pratiquement tous disparu et non, les dolmens et même les menhirs ne font pas partie de leur héritage (néolithique). C’est une fausse croyance véhiculée par la bande dessinée et ce cher Obélix. Les archéologues rassemblent depuis le début du XXème siècle quantité de données, d’objets et de photographies des traces des Gaulois mais rien de solide pour titiller l’imaginaire collectif comme les Romains ont su le faire grâce à leurs monuments : aqueducs, colisées, arènes, ponts, temples etc. En revanche, ils nous ont laissé une quantité de « choses » invisibles, un héritage que nous employons quotidiennement : la langue.

Chacun connaît Paris, Bourges, Reims, Trêves, Amiens. Qui sait que ces noms ne sont autres que ceux des peuples qui occupaient deux mille ans plus tôt leur emplacement, Parisii, Bituriges, Rèmes, Trèvires, Ambiens ?

Cela marche également avec l’Auvergne des Arvernes, le pays de Caux des Calètes, le Périgord des Pétrocores, le Poitou des Pictons. Les filiations avec les Ausques d’Auch, les Bellovaques de Beauvais etc. Les villes en « dunum » qui signifie ville ou forteresse : Verdun, Châteaudun, Lugdunum (Lyon) etc. La persistance des mots gaulois dans notre vocabulaire, une centaine environ : alouette, ardoise, auvent, bec, bercer, boue, bouge, bruyère, caillou, cervoise, change, char, charpente, charrue, chemin, chêne, claie, gaillard, glaise, gober, gosier, grève, if, jarret, jambe, lande, mouton, raie, ruche, souche, suie, talus, trogne, truand, truie, vanne etc. Les historiens estiment que la syntaxe même du parler français viendrait des Gaulois-Celtes car notre langue est différente du latin, du germain. La colonisation n’a pas complètement remplacé la langue d’origine des Gaulois.

L’ouvrage de l’historien se ponctue par un discours mélancolique teinté de psychanalyse malvenue :

En réalité, les Gaulois ne trouvent pas leur place entre nous et les autres. Ils sont comme ces peuples qu’on disait, il y a encore peu, « primitifs ». Ils nous paraissent trop éloignés de ce que nous sommes. Mais au fond, nous savons bien qu’ils nous ressemblent. […] C’est pourquoi nos rapports de parenté avec les Gaulois sont si compliqués. Ils sont nos ancêtres de circonstance, quand l’air du temps et les événements les rendent convenables. Mais même alors, ils ne le sont que superficiellement. Nous admettons qu’ils soient nos lointains ancêtres, un peu exotiques, très folkloriques, mais nous ne voyons pas en eux de vrais pères. La longue traversée du désert d’un demi-siècle que viennent de connaître les Gaulois s’assimile peu ou prou à la mise à mort du père, en langue freudien. Il est donc temps désormais de poser un regard d’adulte sur cette petite enfance de notre humanité.

Je peux comprendre une telle conclusion quand la nécessité politique ne se fait pas sentir et que la vérité historique est l’objectif suprême d’un travail « scientifique » à un instant T. Mais la vérité change, les circonstances aussi, les besoins des Hommes aussi, le destin d’une civilisation également. Faire une croix définitive sur nos ancêtres supposés est une erreur car un roman national est constitutif d’un peuple, croire que nous avons tout compris des Hommes et de l’Histoire grâce à la science et l’archéologie est une hérésie et se croire supérieurs aux générations passées qui ont eu recours à la récupération politique des Gaulois pour instrumentaliser une politique est infiniment naïf pour ne pas dire arrogant. A l'heure des familles recomposées et détruites, si les Gaulois ne sont pas nos pères biologiques, considérons-les au moins comme nos pères adoptifs et gardons en nous leurs gloires et leur vie passée. J'irai même plus loin en affirmant que notre génération, au-delà du travail de mémoire qui consiste à faire sien un passé mythifié et fédérateur, doit dépasser le modèle gaulois en observant leur histoire et leur chute. Pour ma part, je garde une tendresse amplifiée pour cette civilisation et ne regrette en rien la lecture de cet ouvrage. Jean-Louis Brunaux nous livre un travail simple d'accès et précis sur la culture et l'histoire Gauloise. Au-delà des considérations purement éthnologiques, l'auteur réalise en toile de fond une historiographie passionnante pour comprendre au fil des siècles l'attrait et le désintérêt pour cette civilisation ou tout simplement les principales idées reçues.

silaxe
8
Écrit par

Créée

le 12 nov. 2022

Critique lue 25 fois

silaxe

Écrit par

Critique lue 25 fois

D'autres avis sur Nos ancêtres les Gaulois

Nos ancêtres les Gaulois
silaxe
8

Par Toutatis !

Jean-Louis Brunaux (directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la civilisation gauloise) nous livre ici un ouvrage au titre résolument provocateur dans le but de rétablir la vérité sur ce peuple...

le 12 nov. 2022

Du même critique

Fondation - Le Cycle de Fondation, tome 1
silaxe
5

Il était une fois dans une lointaine galaxie...la déception.

Je vais probablement fâcher beaucoup d'entre vous mais personnellement je n'ai pris aucun plaisir à la lecture de ce premier tome du célèbre cycle d'Asimov. N'étant pas un lecteur adepte de...

le 19 juil. 2015

20 j'aime

7

La Domination masculine
silaxe
8

À lire et à relire !

Il faut dire qu'on fait difficilement plus efficace, plus fort et plus clair que l'écriture de Pierre Bourdieu. Un professeur de sociologie absolument brillant qui s'attaque ici à un sujet difficile...

le 17 janv. 2015

18 j'aime

7