Le texte ci-dessous n'est pas véritablement une critique mais vise plutôt à retranscrire le propos de l'auteure (puisque basé sur mes notes de lecture), les passages en italique sont mes commentaires. J'ai, de plus, réorganisé les idées développés dans le livre de telle façon à rendre le raisonnement plus "logique" (hypothético-déductif pour être tout à fait exact).


La démocratie est intimement liée à la volonté générale, celle-ci doit donc répondre nécessairement à deux conditions : d'une part, le peuple doit exprimer sa volonté sans passer par des intermédiaires pour le faire (La démocratie directe est elle applicable ? Simone Weil avait certainement conscience de ce problème dans la mesure où elle ne rejette pas l'idée d'une représentation nationale, à condition que celle-ci ne soit en aucun cas partisane.), et d'autre part, toute volonté collective exprimée doit être dénuée de raisons passionnelles. Il faut donc chercher comment donner les moyens de cette expression sans que celle-ci ne puisse être corrompue par une quelconque passion collective.


Quant à ce dernier point, la convergence des raisons individuelles ferait émerger des décisions justes car les passions individuelles se contredisent et se neutralisent (C'est, je crois, le point de vue de Jean-Jacques Rousseau.) mais cette idée est contredite par l'existence des passions collectives qui sont, elles, bien plus dévastatrices. La volonté du peuple n'est donc pas nécessairement juste mais elle a davantage de chances de l'être que le bon vouloir d'un seul homme puisqu'il n'y a pas de mécanisme individuel permettant d'équilibrer les passions (Cela a été contredit par un certain nombre d'auteurs libéraux, intéressants à prendre en compte ici car les thèses de Weil sont très libérales justement. Je pourrai rajouter dans les commentaires ce qu'on en avait dit dans un de mes cours d'histoire de la pensée économique qui portait sur les intérêts passionnés si jamais ça intéresse quelqu'un...). En conséquence, la démocratie n'est pas bonne en soi mais c'est le Régime devant par principe (et par principe seulement) aboutir au bien du plus grand nombre.


De même, un parti est un instrument devant, comme tout instrument, aboutir à la seule fin valable : le bien collectif. Mais en 1789, l'idée même de parti était mal perçue, cela jusqu'à ce que les jacobins gagnent en influence. En conséquence, "Le fait qu'ils existent n'est nullement un motif de les conserver. Seul le bien est un motif légitime de conservation." Cependant, il est difficile de définir concrètement en quoi consiste le bien collectif et, de ce fait, toute doctrine peut apparaître un peu fumeuse et imprécise car basée sur des fondations incertaines (N'est-ce pas plutôt que chaque doctrine a sa propre vision du bien collectif et que de là découlent toutes les divergences que l'on connaît ?). Se confrontent alors le principe d'une fin floue et l'existence concrète d'une structure en tant que telle.


Mais pour qu'un parti serve sa "vision" du bien public, il faut qu'il acquière de l'importance, soit majoritaire, si ce n'est hégémonique. Il lui faut acquérir plus de pouvoir bien qu'aucun ne lui suffira jamais car il pèche par sa conception floue du bien commun et attribuera les mécontentements aux contraintes institutionnelles et géopolitiques qu'il subit. Un membre d'une telle organisation ne pourrait considérer que son parti a trop de membres, il souhaite que celui-ci connaisse une croissance continue et qu'il grossisse. Cela a pour conséquence que tout parti souhaite éliminer les autres, ce qui relève donc de la volonté hégémonique qui, poussée à l'extrême, mène au totalitarisme (seul l'affrontement de différentes forces partisanes fait que le système politique n'est pas nécessairement totalitaire). On remarque d'ailleurs que toute dictature repose sur un parti unique.


En outre, à partir du moment où la croissance du parti est l'objectif principal, émerge alors une pression sur la pensée des individus puisqu'il s'agit de convaincre et de persuader. On dit souvent à ce propos qu'un parti forme ses membres, il cherche en fait à les fidéliser afin d'éviter les désordres internes. De même, ses membres doivent se conformer à la doctrine du parti sous peine de s'en faire exclure car toute contestation nuit à l'organisation en elle-même. La pensée des membres d'un parti n'est donc pas libre, elle est soumise à une contrainte sociale (Weil fait souvent appel à la liberté dans son texte, comme si c'était la garantie du bien, ce dont je doute profondément.). Ces individus acceptent de perdre cette liberté dans l'espoir d'accéder aux responsabilités. Donc pour y accéder il faut se mentir à soi-même, mentir au parti et mentir aux citoyens : c'est donc un système hypocrite puisque celui qui abandonne l'honnêteté intellectuelle ne risque pas grand chose (Est-ce aussi vrai aujourd'hui ? L'illusion demeure mais j'ai l'impression qu'elle se meut de plus en plus rapidement, en tout cas elle ne dure plus de temps de toute une carrière politique.) alors que celui qui s'y tient s'expose à des difficultés de tout ordre ("la carrière, les sentiments, l'amitié, la réputation, la partie extérieure de l'honneur, parfois même la vie de famille"). Et même si "l'attention véritable" est préservée (c'est-à-dire que l'on fait seulement semblant de se soumettre à la doctrine du parti), et donc que le mensonge à soi-même n'est pas, demeure tout de même le plus grave, c'est-à-dire le mensonge aux citoyens. Dès lors, "Le mobile de la pensée n'est plus le désir inconditionné, non défini, de la vérité mais le désir de la conformité avec un enseignement établi d'avance." (Elle critique donc l'orthodoxie partisane, elle trouve insupportable le caractère social de la raison politique, la pensée ne peut pas être collective à ses yeux, seul l'homme dans son for intérieur pourrait atteindre la vérité, ce que je trouve très caricatural comme point de vue.).


L'organisation partisane pousse donc à se positionner en tant que membre du groupe, plus en tant que libre penseur (L'auteure suggère que l'existence des partis revient à la mort de la pensée, ce qui n'est pas exact sans quoi il n'y aurait personne pour adhérer à un parti ou quitter les composantes de ce système.). Par l'importance naturellement accordée à l'exercice des fonction liées au pouvoir politique, l'opinion générale accorde tant d'importance aux positions des partis qu'on estime devoir choisir son camp avant même de penser véritablement ces problèmes (D'où tient-elle une telle affirmation ? Si ce genre de jugement paraît caricatural, peut-être est-ce imputable à l'époque dans laquelle l'ouvrage à été rédigé... Et ceux qui n'adhèrent à aucun parti sont pour la majorité des gens qui n'ont pas vraiment de conscience politique au lieu d'être des libres penseurs comme le répète Weil.).


Tout cela, les partis parviennent à le mettre en place grâce aux passions collectives et s'il y a plusieurs passions divergentes (et donc différents groupes pour les porter) alors la lutte les exacerbe.


En somme, on peut caractériser l'essence des partis politiques selon trois points :


1) le but d'un parti est d'assurer sa propre prospérité ;


2) un parti exerce une pression sur la réflexion des individus, elle est donc contrainte et, in fine, biaisée ;


3) un parti génère des passions collectives.


Il s'agit donc de mettre en rapport ce que l'on vient de conclure avec les propos sur la démocratie au début de ce texte. Weil prend donc l'exemple suivant : "Si un homme fait des calculs numériques très complexes en sachant qu'il sera fouetté toutes les fois qu'il obtiendra comme résultat un nombre pair, sa situation est très difficile. Quelque chose dans la partie charnelle de l'âme le poussera à donner un petit coup de pouce aux calculs pour obtenir toujours un nombre impair. En voulant réagir il risquera de trouver un nombre pair même là où il ne faut pas. Prise dans cette oscillation, son attention n'est plus intacte. Si les calculs sont complexes au point d'exiger de sa part la plénitude de l'attention, il est inévitable qu'il se trompe très souvent. Il ne servira à rien qu'il soit très intelligent, très courageux, très soucieux de vérité." S'il veut préserver son intégrité, cet homme doit éviter les coups de fouet, il en va donc de même pour les partis car il est si difficile de préserver l'honnêteté qu'il faut protéger tout individu contre ce qui pourrait biaiser son jugement.


De tout cela, l'auteure conclut que "l'institution des partis semble bien constituer du mal à peu près sans mélange. Ils sont mauvais dans leur principe, et pratiquement leurs effets sont mauvais [...] Les partis sont un merveilleux mécanisme, par la vertu duquel, dans toute l'étendue d'un pays, pas un esprit ne donne son attention à l'effort de discerner, dans les affaires publiques, le bien, la justice, la vérité. Il en résulte que - sauf un très petit nombre de coïncidences fortuites - il n'est décidé et exécuté que des mesures contraires au bien public, à la justice et à la vérité. Si on confiait au diable l'organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux."


Ainsi, dans un cadre sans partis, le dialogue entre les élus serait plus flexible, plus honnête, on pourrait se débarrasser des rigidités partisanes (Il suffit ici, au passage, de changer quelques mots pour obtenir le discours de LREM sur la SNCF.) et mettre fin au dialogue de sourds que sont par exemple les débats à l'Assemblée Nationale. Il y aurait donc davantage de place pour la vérité, c'est-à-dire "les pensées qui surgissent dans l'esprit d'une créature pensante uniquement, totalement, exclusivement désireuse de la vérité" (Je ne peux être d'accord avec cette définition. Si pour d'autres commentaires je suis plus prudent là je n'émet aucun doute, ce qui dit Weil est faux car elle considère que l'erreur et le mensonge sont la même chose, ce qui n'est bien évidemment pas vrai.)


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Commentaires complémentaires :


- Rien n'indique que la liberté des hommes entrainerait de bonnes décisions, ce que Weil reconnaît d'ailleurs à demi-mot, et cela décrédibilise une partie de son argumentation.


- Les décisions des partis ne sont pas toujours mauvaises. Si donc sa critique du principe est riche, sa vision de la réalité est caricaturale (encore une fois, c'est certainement dû à l'époque).


- Son système serait moins hypocrite mais serait-il plus efficace ? Rien n'est moins sûr, surtout quand on se penche sur sa vision de la rationalité (là aussi, indiquant un point de vue libéral) et sa définition hallucinante de la vérité.

MonsieurBain
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le 28 mai 2018

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