Mémoire de nos pères

Je suis resté sidéré pendant plus d'une heure hier, devant les images inconcevables de Notre Dame de Paris en feu.
Je me suis demandé depuis pourquoi j'étais si touché par cet évènement.

Ce n'est pas une question de foi. J'aimerais être bon catholique, mais je dois reconnaître que j'en suis loin. De toutes façons cette catastrophe ne peut que renforcer la foi sincère des croyants comme l'explique si justement -Piero-.
Ce n'est pas seulement une question de patrimoine. La France regorge de chefs d'oeuvre. Elle ne peut les entretenir tous.
Ce n'est pas seulement une question d'image. Aujourd'hui, la Tour Eiffel a pris la place de Notre Dame comme symbole de la ville de Paris, partout dans le monde.
Ce n'est pas seulement une oeuvre d'art unique renfermant elle-même d'autres oeuvres uniques. De ce point de vue, le Louvre est l'endroit le plus riche du monde.
Notre Dame est loin d'être un de nos monuments les plus anciens. Il peut même paraître récent comparé aux arènes de Nîmes, au pont du Gard ou aux peintures rupestres de la grotte Chauvet.
Ce n'est pas non plus le monument le plus prestigieux, comparé à Versailles.

Alors pourquoi cet incendie m'a-t-il touché si profondément?
Je pense que ce monument, par son histoire et par toutes les qualités que j'ai évoquées plus haut touche à notre identité profonde, collective et individuelle, plus encore que le Louvre, le mont Saint-Michel, Versailles ou les si émouvantes peintures rupestres.
Mais il existe peut-être une raison plus profonde, plus intime. Autrefois, en Anatolie les femmes tissaient des tapis en soie. La soie est si fine que le travail n'avance pas. Le nombre de noeuds nécessaires à un seul petit tapis est invraisemblable. On parlait alors de tapis d'une vie (de travail), de deux vies, de cinq, de dix vies. Imaginons combien de vies de nos ancêtres ont été consacrées à la construction de cette cathédrale (l'espérance de vie était alors d'environ 30 ans).

A l'heure actuelle, nous ne savons pas (à part la fameuse couronne d'épines) ce qui a pu être sauvé.
Mais le lendemain matin, le premier drone a pénétrer dans l'église envoyait sur nos écrans de télé cette extraordinaire image, comme un encouragement à tous les fidèles qui pendant la nuit priaient à genoux sur les quais et les rues avoisinantes:
https://www.nouvelordremondial.cc/wp-content/uploads/2019/04/notredame-3.jpg

Mais il faut toujours rechercher dans une catastrophe un côté positif.
Les croyants trouveront dans cette épreuve une force pour affermir leur foi.
Pour les autres, j'espère que nous profiterons de ce coup de gomme pour oublier, lors de la reconstruction, les actes de vandalisme de l'infâme et narcissique Viollet-Le-Duc.

Malheureusement, je crains que des Viollet-Le-Duc du XXIème siècle ne soient déjà sur leur planche à dessin en train de nous concocter des projets grandioses de verre et d'acier. Je ne doute pas que parmi les études qui nous serons proposées, il n'y en aie de géniales, mais qu'en résultera-t-il?
Si le résultat est convaincant, un architecte américain, chinois ou autre, peut-être même français, en tirera une gloire et un avenir immense. Et quand le soleil brille on ne voit plus les étoiles.
Si au contraire on choisissait de retrouver l'esprit de ferveur qui animait les batisseurs des XIIème et XIIIème siècles, ce seraient les sculpteurs, charpentiers, étameurs, plombiers, doreurs, etc... qui se trouveraient sous les feux de la plus grande vitrine de notre siècle. Le savoir faire de nos artisans et compagnons serait vu et apprécié du monde entier. Cela retomberait sur tous ces petits métiers qui oeuvrent au louvre, dans nos châteaux et tout notre patrimoine: restaurateurs de tableaux, de boiseries, de stucs, de tapisseries, d'horloges, de robes, de marqueterie, etc... Car nous disposons en France d'un savoir-faire que nous sous-estimons et qui n'est pas suffisamment reconnu et demandé dans le monde. Des artisans et compagnons retrouvent les pratiques du moyen-âge à Guédelon, du magdalénien dans les reproductions de la grotte de Lascaux.
Nos artistes et artisans pourraient être reconnus et demandés à l'instar de nos pâtissiers et parfumeurs dans le monde entier pour toute une génération.

Dans le cas contraire, préparons-nous à voir la tête du nouvel "élu" sur deux statues de nos rois de France, d'un apôtre et d'un archange.
Lorsqu'on lancera un grand concours d'architecture, nous saurons que je suis un utopiste.

Tout cela n'est pas une raison pour mettre un "10" à l'oeuvre de Victor Hugo.