Bonne nouvelle : si vous ne voyez pas l'intérêt de Notre Dame des Fleurs, ce n'est pas forcément que vous êtes homophobe, c'est peut-être juste qu'une des dimensions de la littérature vous échappe. Ouf, et sans doute même tant mieux pour vous.


Genet saint et martyr, foutaises qui sonnent bien mais sonnent creux : trop de coordination tue la conjonction, à scruter si dogmatiquement l'Être on risque bien de se retrouver devant un immense Néant. Le ET entre deux choses ne vaut que s'il sous entend MAIS, il est fait pour tenter de tenir quelques secondes entre ses doigts deux notions qui, aimants, heureux aimants, font tout pour se repousser et pourtant se ressemblent tant ; toute la leçon du livre est là. Et Genet d'entrechoquer les mots, lui, pour leur faire dégueuler un monde foisonnant qui de toute façon aura notre peau. Comme deux morceaux de silex dont le feu jaillissant nous tuera mais en nous purifiant.


Comme chez Baudelaire, il est martyr et bourreau plutôt. Il est l'écorché vif volontaire, qui dépèce la vie en même temps que son âme et son corps. Pour voir ce qu'il y a au cœur des ténèbres, autant dire des êtres. Il s'agit de tension, et d'attention. Il s'agit surtout de trouver, par l'écriture, un moyen de réunir ce qui ailleurs ne le sera jamais vraiment. La littérature comme religion, au sens premier du terme : un lien élastique tiré jusqu'à vous claquer à la gueule, telle est sa lyre de poète.


Car oui, ici il ne s'agit que de poésie, "ce point de rencontre entre le visible et l'invisible". Les tapettes, les macs, les putes, les marlous sont les seuls à pouvoir se coltiner un aussi lourd fardeau. Il faut avoir tout perdu pour gagner cette chance là. La poésie, le mot est absurde, mais son pouvoir est gigantesque : faire que tout se retrouve en un seul point, incandescent. Le temps chez Genet n'existe plus vraiment, le passé et l'avenir sont tout d'un coup serré dans le poing du présent.


Et cette présence ne se nourrit que d'une absence insoluble. Genet entasse les figures de tous ses gueux chéris qui sont les seuls princes véritables, et construit pour eux, avec les clous des mots, les ficelles des phrases, un théâtre à la hauteur du drame qui se joue dans sa tête, un drame rempli comme il se doit de bruits et de fureurs. Armée de fantassins vaillants et dérisoires, comme les petits soldats de plombs dans le cachot de Clément : peinturlurés dehors, et creux dedans. Tant pis. Qui veut dire le plein doit accepter le vide.

Chaiev
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le 17 nov. 2011

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Chaiev

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