«Ce matin-là, elle me verse du Teacher’s sur le ventre et se met à le lécher. L’après-midi, elle essaie de se jeter par la fenêtre.
Je lui dis : "Holly, ca ne peut plus durer, Il faut que ça s’arrête."
Nous sommes assis sur le canapé dans une des suites de l’étage.» (Gloriette)

Il suffit de quelques lignes et tout Carver est là, ici dans un motel quelconque géré par un couple, un lieu qui devient sordide avec l’infidélité, l’alcoolisme et leur déchirement.

Crise économique, abaissement, enfoncement, concavité, partie creuse, état mental pathologique caractérisé par de la lassitude, du découragement et de l’angoisse, il y a toutes les dépressions dans les nouvelles de Carver, dans le fond et dans la forme, ici éditée par les ciseaux de son éditeur, Gordon Lish.

Au-delà de "Gloriette", je retiens évidemment "Le Bain", immortalisé en 1993 par Robert Altman dans Short Cuts avec l’inoubliable pâtissier psychotique incarné par Lyle Lovett (personnage d’ailleurs beaucoup moins présent dans la nouvelle de Carver), "Et si vous dansiez ?", car l’essentiel est ici dans ce qui n’est pas dit, "Toutes les petites choses que j’ai pu voir", "Bingo", où la rancœur d’une soirée gâchée par le retard, la malchance au jeu, et par un couple de tricheurs qui gagne, vient s’agglomérer au désarroi causé par la maladie pour former une pelote d’angoisse inextricable, et enfin "Toute cette eau si près de la maison".

Dans ces nouvelles qui nous font rencontrer des personnages de la classe moyenne américaine toujours en risque de tomber du mauvais côté de la barrière, le génie de Carver (et de son éditeur) est de rendre en quelques mots - ou absences de mots - les non-dits qui remplissent tout l’espace, et l’incapacité à communiquer quand la situation dérape.

«J’étais au lit quand j’ai entendu le bruit de la grille. J’ai tendu l’oreille. Il n’y a pas eu d’autre bruit. Mais la grille, j’étais sûre de l’avoir entendue. J’ai essayé de réveiller Cliff. Il était saoul. Alors, je me suis levée et j’ai été à la fenêtre. Une grande lune dominait les montagnes qui entourent la ville. Une lune blanche, couverte de cicatrices. N’importe quel imbécile aurait pu y voir un visage.» (Toutes les petites choses que j’ai pu voir)
MarianneL
8
Écrit par

Créée

le 1 nov. 2012

Critique lue 744 fois

6 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 744 fois

6

D'autres avis sur Parlez-moi d'amour

Parlez-moi d'amour
Mellow-Yellow
7

Un instant précis

Si le genre de la nouvelle trouve sa spécificité dans la brièveté, il faut voir ce rapport au temps comme conditionnant la manière dont l'histoire va être construite par son auteur. Certains...

le 8 mai 2018

2 j'aime

Parlez-moi d'amour
Vadim
9

Critique de Parlez-moi d'amour par Vadim

Maître incontesté de la short story américaine et de Jay McInerney, Carver esquisse, laisse deviner les ombres qui peuplent une Amérique triste, qui picole et fume, est pleine de névroses et spleenée.

le 30 juin 2010

1 j'aime

1

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

36 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

34 j'aime

4