Je fais partie des hommes qui, s'ils n'utiliseront jamais de #hashtag car absents du réseau X, pourraient s'écrier "Pas tous les hommes quand même !". Repérant dans les nouveautés de ma médiathèque ce petit livre, je me dis, "tiens, voyons quels sont ses arguments".

Mauvaise pioche. Le ton de ce brûlot est tout à fait détestable. Agressif, parfois grossier, et surtout, surtout, moralisateur. Aux yeux de Giulia Foïs, l'homme qui ne se sent pas partie prenante de la culture du viol est au mieux aveugle, au pire complice. La seule attitude acceptable est de battre sa coulpe et se reconnaître coupable. Ah si, il peut agir, en partageant les taches domestiques, en soutenant la cause des femmes qui luttent, en respectant le désir de ses partenaires. Mais alors, quid d'un homme qui ferait déjà tout ça ? Qui ne s'en vanterait pas, trouverait tout cela simplement naturel ? Que faire si l'on est un homme "déconstruit", pour prouver qu'on ne se fiche pas de la question ?

Certainement pas dire aux femmes ce qu'elles devraient faire, ce serait du mansplaining. Page 81 : "Se mettre debout, se dresser, s'insurger, avec elles, pour que ces violences cessent". Question : s'insurger fera-t-il diminuer la violence masculine ?... ça donne surtout bonne conscience. La clef me semble résider dans l'éducation, des garçons d’abord mais aussi des filles (car oui, certaines filles concourent à la propagation du patriarcat).

Pour l'autrice, l'homme doit se sentir solidaire des violeurs, du seul fait qu'il est un homme. Cela porte un nom, essentialisation, et c'est à la base du racisme, du sexisme ou de l'antisémitisme. Juger quelqu'un non en fonction de ce qu'il fait (ici : son comportement vis-à-vis des femmes) mais en fonction de ce qu'il est, en réduisant cette essence à une catégorie (ici : les mâles).

Bon nombre de ceux qui se désolidarisent des violeurs savent très bien ce que rappelle ce petit livre : les violences sexuelles sont à une majorité écrasante commises par des hommes et, à une majorité tout aussi écrasante, subies par des femmes. Et donc ? Est-ce que chaque musulman doit prendre la parole pour se désolidariser des "fous de Dieu" qui commettent des attentats ou des talibans qui oppriment les femmes en Afghanistan ? Est-ce que chaque Juif de France doit préciser qu'il n'est pas solidaire du massacre qui est perpétré à Gaza ? Chaque supporteur de foot proclamer qu’il n’est pas de ces hooligans qui vont au stade pour se bastonner avec le camp d’en face ?

C'est patent, indéniable, il y a un problème avec le désir masculin et avec la culture patriarcale. Tous et toutes, nous devons nous interroger, chacun à sa place. En tant qu'homme, je peux reconnaître ce qui, peut-être, pourrait faire de moi un jour un violeur. J'y consens, comme je consens à examiner ce qui, en moi, peut déboucher sur l'indifférence aux pires abjections, à la lumière de la Shoah. Pour le sujet qui nous occupe, je ne me sens pas à l'abri de cette ignominie-là, même si je me demande bien quel plaisir on peut trouver à forcer une femme. Une telle tendance porte un nom : perversion.

On aurait pu creuser la question : pourquoi tant d'hommes font-ils cela ? Il y a bien, le plus souvent, une différence de libido entre les hommes et les femmes, et cette question est l'une des plus difficiles à résoudre dans un couple. Lorsqu'un homme pratique le viol conjugal, il y apporte la pire des réponses. Mais dénoncer cela ne résout pas la question : elle reste pleine et entière.

Il faudrait chercher les raisons du désastre constaté, par exemple en interrogeant l'accès libre à la pornographie dès le plus jeune âge, ou en questionnant le male gaze au cinéma, mais pour Giulia Foïs les raisons s'apparentent immédiatement à des excuses ("expliquer, c'est déjà excuser" selon la formule de l'inénarrable Manuel Valls après les attentats terroristes) puisqu'elle se situe sur le terrain moral. Page 83, voici le programme proposé aux hommes : "S'avouer, à soi, avouer aux autres, les fautes, les erreurs, les délits, ou même les crimes qu'on a commis est sans doute une montagne à escalader". Autrement dit, "Je reconnais que j'ai péché, en pensée, en action, en paroles ou par omission". Amen !

On n'échappe pas à la parabole du thé : si une femme vous dit qu'elle ne veut pas du thé c'est qu'elle n'en veut pas, donc pourquoi serait-ce différent concernant une relation sexuelle ? Comme si le consentement à une relation sexuelle était une chose aussi simple que l'envie d'une tasse de thé. Un acte que l'on consomme. Comme si la sexualité n'était pas un terrain éminemment complexe, mystérieux, opaque... Comme si celui qui va vous servir le thé n'était pas en cause aussi. Et ce n'est pas fini, s'il y a oui, il n'est pas assuré d'être un vrai "oui" car ce "oui" peut être prononcé "sous la contrainte, la menace, la violence ou la surprise" comme est défini le viol dans le code pénal. Mais qu'est-ce qu'une contrainte ou une menace ? Ne peut-elle pas être insidieuse, même pas formulée ? On voit bien qu'il existe une zone grise, c'est-à-dire un espace de complexité dans cette question. Or la complexité, Giulia Foïs n'en veut pas car c'est immédiatement, à ses yeux, se rendre complice des violeurs. J'entends bien que cette zone grise est invoquée par certains hommes pour justifier leurs violences. Faut-il, pour autant, jeter le bébé avec l'eau du bain ? La question du viol est tellement épidermique qu'elle ne laisse plus la place à la nuance. Ce petit livre en est l'illustration : il préfère s'indigner (certes, il y a de quoi) et mettre en accusation tout le genre masculin. Chose qui défoule, probablement, mais qui est assez stérile.

Pour approfondir la question des rapports hommes-femmes, je préfère me plonger dans Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Ou, dans les autrices actuelles, aller du côté de Mona Chollet. C'est d'un autre niveau. On en ressort moins honteux, mais plus intelligent.

Jduvi
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le 22 juin 2025

Modifiée

le 23 juin 2025

Critique lue 53 fois

Jduvi

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