Quel effet que l'annonce de ce retour pour une nouvelle saga policière à LA ! James Ellroy revient aux sources, et l'auteur - indécrottable mélomane - entend passer d'un quartet à un quintette. Et placé une dizaine d'années avec son incroyable run Le Dahlia Noir/Le Grand Nulle Part/L.A Confidential/White Jazz. Au cinéma, on emploierait le terme d'origin story ou de reboot. Et quelque part, il s'agit bien d'une opération pour se revitaliser littérairement (et financièrement). Pas avare en effets de manche, il présente ce premier volet Perfidia comme son livre le plus ambitieux et le plus fouillé. Alors on s'y jette, parce que même si Ellroy aime brouiller les pistes à force de punchlines cinglantes sur tout (l'ex président Obama, la série The Wire ou les adaptations de ses livres), on se dit que l'auteur dit peut-être la vérité. Et on se fait un peu avoir.
C'est un pavé 900 pages, mais Ellroy en a vu d'autres. La trilogie Underworld USA comptait trois volets de presque autant de feuillets, noircis par les liens incestueux entre les machinations politiques, les désillusions d'hommes-rouages dans la fabrique du complot et l'impossible rédemption après une décennie de sales boulots qui ont rythmé les 60's et donné cette teinte macabre à cette page d'Histoire. Perfidia remonte le temps et part sur des bases similaires avec l'attaque de Pearl Harbor et les rafles de citoyens Nippons en Amérique, tout cela mis en parallèle avec les magouilles de Dudley Smith, la traque de tout élément subversif (en gros, la gauche) et surtout l'enquête autour du quadruple homicide d'une famille nippo-américaine. Vaste programme, et pour la première fois depuis Underworld USA, Ellroy patine. Sauf que cette fois, le carambolage est indiscutable. Grosse déception.
Oui, à l'origine, le meurtre apparemment rituel de la famille Watanabe qui est censé conduire toute l'intrigue. Pendant une moitié de l'œuvre, le puzzle se met en place, la petite mécanique Ellroy est toujours efficace même si l'on a déjà les signes d'un éparpillement menace. Car passé ce gros segment, l'investigation est remisée au second plan au profit d'intrigues secondaires au mieux cryptiques sinon franchement inintéressantes. L'enquête de l'inspecteur Bill Parker pour faire tomber les éléments un peu trop rouges, l'obsession de celui-ci ou de Dudley Smith pour Kay Lake, le journal intime de celle-ci exhumé, le projet odieux d'appropriation des terres, la production de films pornographiques, les petits secrets de l'expert médico-légal Hideo Ashida,...Beaucoup de pistes, beaucoup de sujets, énormément de noms ou surnoms à retenir (tellement qu'on nous file même un index en fin d'ouvrage pour nous aider) et à mesure qu'on avance, tout s'embrouille. Soit Ellroy ne s'en est pas aperçu soit il cherchait à nous paumer. J'opte pour les deux options, et par conséquent mon intérêt s'est largement émoussé sur le dernier tiers du roman.
L'auteur culte a eu les yeux plus gros que le ventre, il aurait pu faire deux livres avec toutes ces parties. Regroupées en un seul tome, il apparaît long, abscons et passablement répétitif. De nombreux éléments renvoient au Quartet de LA mais en plus caricaturaux. Je ne discute pas les thématiques chères à Ellroy, mais plutôt son incapacité à les redistribuer de manière subtile ou digeste. De plus, il est pratiquement impossible de s'attacher aux personnages. Qu'ils s'inscrivent dans des zones de gris ne pose pas de problème au demeurant. Mais leur peinture est loin d'égaler l'excellence d'un American Tabloïd ou Le Grand Nulle Part où les caractères finissaient par s'affirmer et achevaient un arc implacable.
On en arrive à un point d'absurde où je n'essayai même plus de comprendre l'objet de cette opération mexicaine vers la fin. Pire, la résolution de l'investigation sur le tragique destin de la famille Watanabe retombe comme un soufflet. "Ah c'est lui...et c'est qui déjà ?", quand on arrive à ce type de réflexion, c'est que le ver est dans le fruit.Perfidia m'a fait repenser à la saison 2 de True Detective, la plus proche d'un James Ellroy, et très mal reçue pour son histoire alambiquée et son absence de personnages forts. Non seulement ces reproches me semblaient déjà grotesques à sa diffusion mais en comparaison de ce livre, l'histoire de Nic Pizzolatto est bien mieux tenue. Apparemment, les retours (et l'autocritique, qui sait ?) ont eu de l'effet. Les opus suivants (La Tempête qui vient, Les Enchanteurs) sont nettement plus courts. Il faut croire que l'ambition n'empêche pas la remise en question. Il eut été préférable qu'elle survienne pendant l'écriture de celui-ci mais bon...