Pot-Bouille
7.5
Pot-Bouille

livre de Émile Zola (1882)

L'infidélité crasse à toutes les sauces

Ayant lu un court résumé du livre au début de ma lecture (je voulais resituer dans la généalogie le personnage principal que je confondais avec son frère, Serge), je m’attendais à un roman à la Bel-Ami, où Octave intriguerait les femmes l’une après l’autre pour gravir les échelons. En fait on en est assez loin, parce qu’Octave est un séducteur débutant et trop brusque. Il a donc du mal à mener à bien ses projets vis-à-vis des femmes, et les tentatives qui aboutissent ne lui servent finalement qu’à assouvir ses pulsions physiques.


Seule Mme Hédouin est poursuivie (principalement) pour des raisons intéressées, et encore la réussite tient plus d’une situation propice et de ses qualités de commerçant que de l’usage de ses charmes sur la femme. Il s'est juste tenu sagement en attendant qu'elle change d'avis.


Octave traite d’ailleurs les femmes avec brutalité, les forçant plus qu’il ne les séduit et ne paraissant jamais les contenter.


Sa liaison avec Marie commence par un viol, celle qu’il a avec Berthe (qui débute aussi par un rapport forcé) tient plus aux avantages financiers qu’elle en tire qu’autre chose.


J’ai cependant trouvé intéressante sa liaison avec Marie, celle-ci étant toujours décrite pas l’auteur comme « inutile » mais « ne lui coûtant rien », un plaisir coupable auquel il se laisse aller lorsque l’ennui le prend. La femme s’offre à lui par complaisance, allant même jusqu’à lui demander pourquoi il la « tourmente » quand il a accès à d’autres femmes. Celle-ci ne compte pas, ce n’est qu’une passade qui ne peut rien lui apporter, qui lui permet de patienter en attendant plus lucratif.


Finalement, le personnage d’Octave est plus un coureur qu’un opportuniste et il passe vite au second plan par rapport aux autres histoires de la maison.


C’est donc un peu décevant de ne pas voir d’évolution sociale pour son personnage, d’autant que dans Au Bonheur des Dames, il sera directement propulsé grand directeur du magasin, et plutôt discret.


Zola montre bien la crasse des intérieurs bourgeois, et l’hypocrisie de ceux qui s’indignent des moindres écarts moraux du petit peuple (une femme enceinte célibataire dans une bonne maison, des domestiques qui chipent de la nourriture...) quand leur moralité est si décadente (tous trompent ou sont trompés, parfois dans leur propre maison, l’argent fait l’objet de trafics et de mensonges sans fins…). Pour autant, c’est un peu facile et ça a tendance à être répétitif, même s’il faut bien reconnaître que l’auteur a fait un effort pour décliner toutes les nuances d’infidélités.


Si quelques ménages ont leurs spécificités


(Marie et Jules sont pauvres et ne veulent qu’un enfant, les Josserand tentent de cacher qu’ils sont sans le sou afin de marier leurs filles au plus offrant, l’architecte installe sa maîtresse dans sa propre maison),


beaucoup de personnages se ressemblent et sont presque interchangeables. Entre l’époux infidèle, l’épouse infidèle et le conjoint trompé, on finit parfois par se perdre. Le fait que les personnages n’apparaissent souvent que le temps de quelques paragraphes dans le chapitre, désignés tantôt par leur nom, tantôt par leur prénom ou leur profession, rend parfois difficile leur identification et la reconstruction des couples officiels et officieux. Il fut encore y ajouter les domestiques, chaque foyer en ayant au moins une. On finit toujours par comprendre dans le chapitre suivant qu’untel était en fait le mari de X et le frère de Y, mais cette ribambelle finit par lasser l’intérêt qu’on peut avoir pour des intrigues secondaires trop nombreuses et semblables.


Le livre retombe bien sur ses pattes à la toute fin


(les choses continuant et se répétant à l’infini, ce qui renforce le côté interchangeable des personnages : Octave est déjà remplacé par le nouveau commis)


mais honnêtement j’en avais déjà marre.


Même s’il apporte des thématiques différentes des autres ouvrages (par exemple le crois que c’est le seul que j’ai lu pour le moment où les classes aisées ont des difficultés d’argent, peut-être parce qu’on est dans des milieux un peu moins aisés que dans La Curée ou Son Excellence Eugène Rougon), j’ai donc trouvé ce livre bien en-dessous des autres. Le projet est bien mené mais l’histoire manque d’un fil conducteur ou d’un personnage qui établirait une continuité et maintiendrait l’intérêt du lecteur dans une histoire qui s’éparpille trop.


Sûrement celui que j'ai le moins aimé pour le moment, avec Une page d'amour.

Trakheia
4
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le 21 juin 2020

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