« Pourquoi je lis ? Je lis comme je marche, sans doute. D’ailleurs, je lis en marchant. Si je vous racontais le nombre de rencontres que j’ai faites grâce à ça ! Plus d’un horodateur de Paris a été ému de m’entendre lui dire « pardon monsieur ! » après que je m’étais cogné à lui en lisant un livre ou un autre. Au reste, ce n’est pas parce qu’on fait une chose aussi spontanément que marcher ou lire qu’il est inutile d’y réfléchir. La spontanéité ne légitime pas tout. Il y a des meurtres spontanés. »

Charles Dantzig est un lecteur. Il est même ce qu’il appelle lui-même un ‘grand lecteur’, de ces lecteurs besogneux qui ne se laissent aller à leur activité favorite qu’attablés, le stylo en main, prêts à en découdre avec le livre et à en noircir les marges ainsi que les moindres espaces disponibles. Désormais titulaire d’une coquète bibliographie, Dantzig a su impressionner par deux principaux pavés qu’il a soumis au public et à la critique non sans un certain succès d’estime. Son Dictionnaire égoïste de la Littérature française(2005) passait en revue nombre de références de la littérature qu’il s’amusait à égratigner non sans une certaine finesse. Pertinent et agaçant à la fois, il fut toutefois reconnu à Dantzig une très solide culture littéraire et une plume séduisante déjà remarquée dans son roman Nos vies hâtives(2001). Quatre ans plus tard, il remettait le couvert avec son Encyclopédie capricieuse du tout et du rien (2009), sorte de suite à son dictionnaire à succès et deuxième pavé dont la densité n’a pas à rougir de la comparaison avec les plus grands romans de Dostoïevski.
Dans Pourquoi lire ? l’auteur aborde la question épineuse de la lecture et de son sens. De par ce simple titre, il soulève bien des questions que les lecteurs plus ou moins aguerris osent encore se poser de temps en temps. A l’ère du numérique, du divertissement à tout va, de la dématérialisation d’un monde qui bat à 100 à l’heure, quel peut encore être, en effet, l’intérêt de se poser, prendre un bouquin, et d’en passer soigneusement les pages en revue, attentivement. Et quand bien même, faut-il nécessairement voir dans la lecture un quelconque intérêt ? Une sorte de nécessité tangible, si cela est possible ?

Le problème est posé et la question reste vague voire vaste, mais alors que je m’attendais à un essai dense, complexe à base de références mitraillées à tire larigot, je me suis trouvé face à un ouvrage qui propose de nombreux éléments de réflexions, principalement à base d’anecdotes littéraires. Le livre se compose en réalité d’une succession de plusieurs textes très agréables à lire.
Toutefois, si ce livre n’est pas un essai à proprement parler visant à avancer une argumentation dont le seul but serait une réponse empirique à une problématique aussi épineuse, Dantzig sait qu’il ne pourra pas s’en tirer avec une simple pirouette. Il propose au lecteur un titre frappant, choc, presque racoleur, dès lors, une fois que le lecteur a ouvert le livre, il n’est plus question de se dérober. Ainsi, il avance quelques idées, des opinions, une conception de la littérature, toujours un peu élitiste, on est chez Dantzig, il ne faut pas l’oublier. Mais le propos global est très cohérent et je dois avouer que j’ai retrouvé dans cet ouvrage quelques fines analyses qui ne m’ont vraiment pas déplu. On y traite de Stendhal, de Proust, des libraires, d’Hergé… ah, Hergé :

« On a accusé Hergé d’être d’extrême droite à cause de Tintin au Congo, mais on ne lui sait pas gré d’avoir montré les complots révolutionnaires d’extrême droite dans Le Sceptre d’Ottokar. Il était d’extrême droite, mais il a quand même fait cela, car il était plus artiste, ou journaliste, que d’extrême droite : l’intérêt supérieur de son œuvre, de son reportage, primait sur ses opinions. »

Dans Pourquoi lire ? , on répugne Stephanie Meyer et on encense la bibliothèque de grand-mère. Ce livre sent la nostalgie. On essaie d’aborder ce qui fait d’un livre un bon livre. On rit parfois, on se pose des questions souvent. Et on finit par le reposer, une fois la lecture finie. Puis on se dit qu’il serait bon de le conserver dans un coin et d’y revenir, de temps en temps.
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le 23 juil. 2012

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Anthony Boyer

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