Pratique d'incendie est un texte court rédigé dans un style lumineux et fluide, ce qui a le mérite de rendre très digeste un propos pourtant particulièrement riche et dense. À la fois sérieux et profondément sensible, fidèle à ce que l'enfance peut avoir d'amusant, le récit développe les premiers questionnements existentiels de la pré-adolescence, cet entre-deux dont parlent bien peu les coming to age novels et Bildungsroman focalisés sur la construction du soi adulte. Ici, pas d'aboutissement à un individu "accompli" donc, mais au contraire la genèse de l'adolescence, cette période de remise en questions et d'inachèvement. J'ai trouvé particulièrement intéressant le fait de se concentrer sur ce glissement entre deux âges de l'enfance, et très revalorisante cette perspective faisant de l'adolescence un premier accomplissement de soi lorsqu'on est enfant.


De plus, en choisissant pour narratrice une enfant d'environ 12 ans (le récit couvre une période de plusieurs années) à la logique implacable et naïve, Kiev Renaud* procure un décalage ironique entre le regard adulte du lecteur et celui immature de la narratrice. Cette mise à distance rassurante étant établie, l'autrice peut dès lors traiter frontalement d'une multitude de sujets difficiles sans heurter et qui intéresserons un large lectorat - y compris adulte. Y prédomine notamment la question de l'individu (sous une perspective occidentale), avec des interrogations sur ce qui nous rendrait uniques et dignes d'intérêt (notre corps ? notre personnalité ? notre destin ?) ou encore comment vivre malgré notre condition mortelle. On pourra néanmoins regretter une certaine superficialité de ce texte, qui se contente de faire émerger - avec certes beaucoup d'originalité - un grand nombre de questions sans véritablement les investiguer.


Toutefois, je demeure convaincue qu'il s'agit d'un des meilleurs portraits existants de la psyché de la jeunesse francophone occidentale actuelle. Car, derrière les questionnements et les craintes exagérées de la narratrice, c'est toute la complexité et la violence du monde scolaire occidental qui se donne à lire en filigrane et comme à l'insu de celle qui parle, façonnée qu'elle est par le système auquel elle se plie.


J'ignore si une suite est prévue, mais j'aurais personnellement très hâte de retrouver le personnage attachant de Camille (la narratrice), ou à défaut de découvrir le prochain texte de Kiev Renaud, une autrice qui publie peu mais dont le nom est absolument à retenir.


* Prix du Jeune Écrivain de langue française, multi-finaliste au Prix de la Nouvelle Radio-Canada

Carla Minutie

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