Cours de rattrapage en Rousseauisme à la veille des Etats Généraux.

Je trouve qu'il est toujours difficile de lire les traités politiques du XVIIIe s. Je n'ai toujours pas terminé le Contrat social. Cela tient à ce que les idées que formulent ces gens nous sont familières, mais que nous les voyons ici pour la première fois, émerger tel des diamants d'une gangue de boue, pas toujours formulées simplement, et entourées de mille incises qui montrent que ces ouvrages avaient pour source et pour finalité les discussions passionnées dans les salons, les cafés, etc...


C'est un ouvrage court et prenant. On a ici l'édition de mai 1789, car la brochure fut rééditée avec quelques variantes (elle parut dès janvier).


C'est une oeuvre d'une violence dans l'invective qui laisse pantois. L'attaque contre les nobles, l'assurance avec laquelle Sieyès affirme la souveraineté de la nation avaient de quoi le faire embastiller dix fois. L'ouvrage est écrit dans une langue simple, accessible. Revenons sur le plan, dont on a retenu les trois premières parties.


I - Le Tiers-Etat est une nation complète. Le Tiers-Etat assure l'essentiel de l'activité économique (la terre et l'eau - la distribution/négoce intermédiaire - les services (Sieyès ne mentionne pas la transformation). Il est exclu des fonctions publiques (l'Epée, la robe, l'Eglise, l'Administration).


II - Qu'est-ce que le Tiers-Etat a été jusqu'à présent ? Rien. Appel à faire repasser le Rhin à tous les nobles qui prétendent descendre des envahisseurs germaniques. Les nobles ont noyauté les députés du Tiers aux Etats Généraux avec des gens ayant moins de 4 quartiers de noblesse. Un représentant du peuple qui accepte des privilèges se coupe toute légitimité. D'où la nécessité d'abolir les privilèges : ce n'est pas priver les nobles, mais restituer ses droits au peuple. Trop de connivences de caste au sommet.


III - Que demande le Tiers-État ? A devenir quelque chose. Le peuple demande 1 - de vrais représentants aux États généraux, un nombre de représentants égal à celui des deux autres et un vote par tête, et non par ordre. Pour Sieyès, c'est trop peu. Il reprend ces demandes et les commente.
1 - Exclure, en effet, tout privilégié des représentants du Tiers, car l'intérêt des nobles est opposé à ceux du Tiers.
2 - Des députés en nombre égal à ceux des deux ordres. Sieyès fait une estimation : le clergé représente 80 000 personnes, la noblesse 110 000, le Tiers 26 millions.
3 - Le vote par têtes. Il n'est pas beaucoup plus légitime, car il donne tout de même à deux ordres des voix qui comptent davantage que celle du Tiers État.


IV - Ce que le gouvernement a tenté, et ce que les privilégiés proposent en faveur du Tiers.
1 - Proposition des assemblées provinciales de Calonne, destinées à l'échec, car elles ont gardé la tripartition par ordre.
2 - Notables. Deux assemblées des notables n'ont rien donné.
3 - Ecrivains patriotes des deux 1ers ordres. Ils ont fait progressé les Lumières, leur combat doit aboutir.
4 - Promesse de supporter également les impositions. Les ordres privilégiés ont offert la promesse de payer comme le Tiers pour endormir les revendications du peuple. Mais même s'ils l'accordaient, le fait que ce soit octroyé comme une faveur, et non par décision e la Nation, rendrait cela insupportable.
5 - Moyen terme proposé par les amis communs des privilégiés et du ministère. Certains proposent le vote par tête seulement pour l'impôt. Absurde, cela retirerait toute valeur au vote.
6 - On propose d'imiter la constitution anglaise. Créer une chambre des communes et une chambre haute ne ferait, en France, qu'aggraver les divisions, car en Angleterre, la loi est la même pour tous, et pas en France. On aurait les inconvénient, sans avoir les avantages de l'équilibre des pouvoirs. Bizarrement, Sieyès est favorable à une organisation à trois chambres.
7 - Que l'esprit d'imitation n'est pas propre à nous bien conduire. L'argument que la Constitution anglaise résiste bien au temps est mauvais. Le despotisme, lui aussi, remonte à des temps anciens.


V - Ce qu'on aurait dû faire. Principes à cet égard. Le peuple doit élire des représentants qui vont former une constituante. Cette constituante permettra ensuite d'élire des représentants et un gouvernement exercé par procuration. Puis viendra le temps du droit positif. De vrais élections de représentants constituants auraient pris du temps, mais moins que les atermoiements du pouvoir royal. Une convocation royale n'est pas nécessaire dans une situation aussi pressante que la situation actuelle.


VI - Ce qui reste à faire. développement de quelques principes. Le Tiers doit renoncer aux Etats généraux et siéger seul, pour former une assemblée nationale. L'absence des autres ordres n'est pas un problème, ce sont des corps étrangers. On ne peut accuser le Tiers de faire scisison, car il représente la majorité. Enfin, pour éviter que la future assemblée ne dégénère en aristocratie, Sieyès prône son renouvellement par tiers tous les ans, et un intervalle avant de pouvoir être rééligible. Enfin, l'auteur reconnaît que son pamphlet peut bousculer des préjugés, mais ne s'en excuse nullement, car cela est nécessaire plutôt que d'adoucir son discours. Distinction entre le philosophe qui trace les principes et l'administrateur qui compose avec les intérêts. Le livre se clôt sur ceux qui seraient prêts à écouter les aristocrates qui disent que la France n'est pas prête pour la démocratie avec une comparaison médicale assimilant les privilèges à une tumeur et l'apostrophe finale : Restez donc malades !


Evidemment, pour nous il est difficile de lire les passages sur la représentation nationale sans penser aux futures errances de la Terreur, ou encore de penser au triste destin de Sieyès, qui se retrouva accolé, comme une caution morale, au coup d'État du 18 Brumaire pour être ensuite relégué comme un enfant à l'arrière-plan, avec un titre de noble d'Empire pour se consoler (ironie suprême !).


On reste tout de même ébloui par la violence de l'invective, le courage qu'il fallait pour assurer ainsi, à la face du roi et des nobles, la primauté des représentants du peuple sur toute autre source de pouvoir, et prévoir avec autant de minutie les réticences, les résistances, les mauvaises raisons de ne rien faire. On sent là tout l'art du salon du XVIIIe porté à son incandescence.


Et qui sait, peut-être que sans ce livre, le Serment du Jeu de Paume ou la nuit du 4 août (le plus bel aboutissement de la Révolution, qui aurait, bien plus que la Prise de la Bastille, mérité d'être érigé en fête nationale) n'auraient pas eu lieu.

zardoz6704
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le 15 sept. 2015

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