Critique de Shaynning
BD adulte de 2020, "Chinese Queer" est ce genre de Bd qui comporte une forte dimension philosophique existentielle, un côté de critique sociale et un graphisme assez particulier.Faire un résumé de...
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le 22 mai 2022
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Incontournable Avril 2025
Alvin va connaitre sa première fête sans adultes chez Jérémy, qui a invité plusieurs des préados de sa classe. Il se félicite d'avoir choisi comme cadeau une raquette de badminton, qu'il juge originale. Quand il arrive à la porte de la résidence de Jérémy, il croise Mélinda, la jeune fille qu'il trouve si sensationnelle. Il ont alors un échange qui se teinte d'humour. En raison de L,emballage à motif militaire, Mélinda lui demande à la blague s'il a acheté une carabine à Jérémy. Choisissant de sauter dans la blague, il en rajoute même un peu. Ce qu'il ignore, c'est que même la blague la plus anodine peut entrainer des rumeurs, qui relayées par des personnes mal intentionnées ou pas, peuvent devenir une sacrée avalanche de désinformation.
J'aime la relation entre Alvin et Mélinda, qui est teintée d'une complicité évidente. Enfin on en parle de cette complicité! Ça c'est intéressant. J'ai vu trop souvent des coup de foudre un peu primaires basés sur le physique, au détriment de choses plus profondes comme la complicité, la confiance et le plaisir partagé. Une relation comporte plusieurs dimension, elles ne reposent pas que sur la beauté, autrement, on est dans une relation vide et superficielle. Or, je vois ici deux préados qui ont des référents communs, se trouvent mutuellement intéressants sur leur personnalité, partage un humour qui se répond fluidement et ont manifestement du plaisir à se retrouver en présence de l'autre. Alvin prend même le temps de décrire ses compétences orales, son amour de la poésie et met en évidence qu'il la trouve indéniablement intelligente. Oui, ils ne trouvent mignons et tant mieux, mais ils ont tellement plus à s'offrir que la seule apparence et ça, ça me fait tellement plaisir à voir. Ce type de couple avec de si bonnes bases n'est pas si répondue, malheureusement. Plus souvent qu'autrement, on est dans des histoires où on choisi le plus beau gars de l'école/la plus belle fille de l'école, parce qu'il/elle est physiquement attirant, parfois intelligent, trop souvent "populaire". Le statut social et la concordance avec les canons esthétiques les plus communs ( yeux bleus, cheveux noirs, sourire en coin arrogant pour les gars / blonde, yeux bleus, corps mince pour les filles) sont souvent ce que je vois dans les romances. Ça trahit à quel point notre perception de la romance est encore très conditionnée par le "gain social" plus que la recherche d'un compagnon/compagne de vie avec lequel/laquelle apprécier la vie. Et je peux pas croire que c'est si généralisé que cela. Il serait tant de revoir ces vieux modèles vides et stéréotypés.
Je me rappelle des rumeurs qui ont détruit certains de mes camarades de classes, certaines si incroyablement absurdes qu'on se demande comment des dizaines et des dizaines de préados et ados ont pu se laisser empêtrer dans cette bouillie pour chat. Il y a une mécanique derrière ce mensonge collectif qu'est la rumeur de cour de récréation, car rares sont les rumeurs favorables ou positives, mais nombreuses sont les rumeurs qui parviennent à engluer les masses d'élèves. Les gens aiment les histoires sordides, elles ont l'attention des gens, elles fascinent. Plus elle grossie, plus des détails encore plus irréalistes et faux s'ajoutent, gonflant alors une information peut-être teintée de vérité en une masse compacte de faussetés. Et ça peut être rapide. Très rapide. Dans le roman, on voit de l'intérieur comment une rumeur peut se rependre et pourquoi. Il y a un phénomène qu'on appelle "Effet d'entrainement", dans laquelle, par désir de plaire, par soucis de conformisme ou par peur d'être rejeté de la masse, on suit. On embarque, on en rajoute même, potentiellement. Aucune validation ou réflexion ne parvient à faire changer le groupe de plus en plus gros de la fausseté de la rumeur, ceux et celles qui s'y essai sont invalidés, moqués ou pire, à leur tout embarqué dans la rumeur en tant que participant.
Ce thème des rumeurs me fait penser aux actuels dictateurs de ce monde sont des champions de la propagande, donc des rumeurs. Semer des idées qui vont nuire à leur adversaires, semer le doute sur l'avenir, laisser présager des souffrances, les lâches qui cherchent le pouvoir savent comment occuper l'esprit des citoyens. Les rumeurs peuvent donc être des outils de peur. Les personnage de Franck et Katia sont justement des exemples de ce genre de communication. Ils cherchent à nuire à Alvin, pour des raisons différentes. En ce sens, je constate que dans le cas des rumeurs, ont peut ( et doit) se poser la question: À quel protagoniste/antagoniste cette rumeur sert? Ou quelle cause? La rumeur est donc un instrument utile à qui veut semer le trouble, faire diversion ou nuire à un ou des individus. Ici, c'est la 3e option qui prévaut. Mais pourquoi?
Parlons du personnage de Franck, je pense que ça vaut la peine de mettre en lumière ce jeune homme aux idées malsaines. "Mélinda est pour lui et lui est dorénavant réservée". Mais quelle masculinité toxique. Il y a encore des gens ( hommes et femmes) qui pensent encore que les gens peuvent leur appartenir comme s'ils avaient des droits sur eux. Combien de romans prétendument romantiques ai-je lu qui véhiculaient sans la moindre gêne ce genre de stupidité. Je me rappelle ma préadolescence, où j'ai entendu des garçons et des filles faire ce genre d' exercice: Qui sélectionne quelle fille/garçon, comme s'était eux qui avaient la pouvoir de décider de qui les filles/garçons doivent tomber amoureux.ses. Quelle incroyable prétention. Bien sur, la jalousie n'est jamais loin, mais encore là, on a tendance à laisser entendre dans les romans jeunesse que la jalousie est un prérequis amoureux. C'est faux, complètement erroné: La jalousie est un sentiment égoïste et possessif, c'est une preuve d'estime de soi fragile, mais surtout, d'une incapacité à réellement aimer. Quand on aime quelqu'un on souhaite son bonheur, pas de se l'accaparer comme un enfant capricieux. Je ne calcule plus ces insupportables bad boys en littérature qui sont obsessivement jaloux et qui préférerai isoler leur femelle dans un cloître plutôt que de les laisser respirer librement et je les trouve extrêmement malsains. Rien, RIEN ne justifie de dominer son ou sa partenaire comme un mâle couillon ou une femelle couillonne, rien. Ce n'est pas un sentiment amoureux, c'est de la pure dictature relationnelle, qui ne peut que finir en violence conjugale. Bref, Franck n'est pas réellement amoureux de Mélinda, il s'est construit une réalité alternative qui lui convient, en interprétant la réalité à son avantage pour mieux servir ses propres intérêts. Il est donc motivé par ses besoins et ses désirs, pas ceux de la jeune fille qui dit prétendument "aimer". Et bien sur, il est incroyablement jaloux, au point de profiter d'une rumeur pour nuire à son rival. Quel coq. Franck est donc un navrant exemple de lâcheté, d'égoïsme et d'arrogance, des traits liés à des comportements toxiques ( qui portent préjudice à autrui). Je remercie l'auteur de l'avoir bien traité comme personnage, en ce sens où il le dépeint comme un jeune homme peu vertueux, pas un comme un amoureux. Qu'il ait envie d'être avec Mélinda et qu'il ait cherché à avoir de bonnes interactions avec elle, pour apprendre à la connaitre, là on aurait quelque chose de plus sain. Avoir envie et être jaloux sont deux états émotionnels bien différents, car le premier réfère aux préférences, l'autre à ce qui est "dû". Or, penser qu'une chose ou une personne est "due" n'est pas un bon signe d'équilibre mental, peu s'en faut.
On reste saisi de malaise devant la rapidité de la rumeur à se répendre, entre deux sacs de chips et quelques pas de danse. Surtout, c'est le degré de violence de la rumeur qui choque. On passe d'une blague un peu anodine à des accusations de port d'armes, d'intention de violence et de malveillance généralisée. En quelques heures, Alvin devient l’indésirable numéro 1, alors que la plupart des gens qui ne le connaisse même pas lui trouve des raisons de le craindre et que la moindre anecdote où Alvin les a importuné par quelque comportement que ce soit, devient prétexte à le démoniser. La surenchère d'informations fait que tout un chacun veut faire entrer son vécu dans le moule de la rumeur, donc certains n’hésite pas à inventer des choses ou faire de faux parallèles avec un souvenir détourné. Pauvre Alvin, devenu "l'ordure" au centre de toutes les conversations. Pendant ce temps, il vit un rêve en tenant la main de Mélinda, les deux en retrait sur le bac à sable de la cour, dans cette bulle de douceur et de complicité qui fait contraste aux sanctions policières envisagées contre Alvin. Ouaip, on est rendu là.
Dans ce délire, seule Samantha, plus réfléchie et logique que cette bande d'amateurs de sensationnalisme, refuse totalement d'adhérer à ces inepties. Bravo à cette fille assez courageuse et suffisamment sur d'elle pour rester fidèle à ses valeurs et ne pas se laisser entrainer dans le marasme de désinformation. Ce n'est jamais facile de tenir tête à un groupe, ne serait-ce que par la force du nombre et le degré de déconnexion de la réalité des membres en présence, alors son courage est beaucoup plus imposant qu'on le pense. Samatha a elle seule incarne la capacité de résister au conformisme, préférant user du bon sens et d'un minium de réflexion.
Attention, il y aura des divulgâches.
Quand les trois principaux "crinqués" (* excité intensément) de la gang décident d'aller demander des comptes à Alvin, ils les surprennent dans une petite cabane alors qu'ils allaient se donner leur premier baiser. Hélas, il n'aura pas lieu à ce moment là, trop ahuris par le déluges d'accusations et le niveau de rage de leur voix. Devant l'indignation et le début de colère des deux tourtereaux. les autres préados doivent l'admettre: Ils se sont complètement trompés. Quand, de dépit, Alvin déballe le cadeau qu'il a amené à Jérémy, révélant les deux raquettes neuves, l'absurdité de la situation leur tombe dessus. Balbutiant des excuses, tâchant d'expliquer au mieux à quel point ils se sont tous fourvoyés. Jérémy n'est cependant pas le seul à avoir contribuer à la situation.
Je retiens qu'Alvin et Mélinda ne les ont pas excusés tout comptes faits et c'est tant mieux. Certaines choses ne méritent pas d'excuses, surtout pour avoir salit sa réputation pour des motifs aussi puérils, sans égard et empathie pour sa personne, de façon gratuite et malveillante. J'aime que ce roman ne finisse pas en "ils redevinrent amis et vécurent heureux". Non, dans la vraie vie, ça ne se passerait pas ainsi. Parfois, pour que les bourreaux comprennent le mal qu'ils font, doivent simplement vivre avec les conséquences sociales de leur actions. Parfois, la réponse la plus appropriée, c'est le silence, plutôt que des excuses.
Ce roman était haletant, j'ai nagé dans des émotions inconfortables, peut-être parce que ce sont des situations que j'ai vu entendu et vu par moi même. Je trouve que monsieur Ben Kamoun a su rendre le roman aussi intriguant qu'un thriller, dont on se demande quand tout cela va finir par exploser. Il a su parler des émotions, des comportements et des conséquences avec justesse et pertinence. J'ai hâte de parler de ce roman à mes profs du niveau secondaire, peut-être même de la 6e année du primaire ( les 11-12 ans), car c'est un enjeu en lui-même. Il n'y a pas que la désinformation qui fasse mal dans ces cas là, mais l'atteinte à la réputation, donc à la dignité et L'estime de soi des jeunes, est un réel préjudice qui mérite sanctions. On peut parler même d’harcèlement moral, psychologique ou physique. C'est grave, ça se range dans le tiroir de l’intimidation, avec des conséquences similaires. Et malgré la lourdeur du sujet, il y a une jolie petite romance SAINE, yeah! Du point de vue du garçon en plus, double yeah! On en a jamais assez, car les romances saines sont encore sous-représentées, à mes yeux. Bref, un petit roman qui m'aura inspiré beaucoup de contenu.
Il y a présence de références aux drogues, à l'alcool et aux armes à feu, je préconise donc un lectorat adolescent ( 12-17 ans) plus qu'intermédiaire ( 8-12 ans). Je mentionne toutefois que ce n'est absolument pas dans un but de le banaliser, au contraire, la présence de la bouteille d'alcool dans la fête fâche beaucoup l'hôte, qui les a interdites. Quant aux drogues et armes, tout cela vient de la pure imagination plutôt sordide d'ados en mal de sensations fortes.
Pour un lectorat adolescent, à partir du premier cycle secondaire, 12-15 ans+
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le 31 mars 2025
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