Quelques jours avec Hitler et Mussolini, de R. B Bandinelli constitue un témoignage rare et intelligent qu’il faut à tout prix posséder dans sa bibliothèque !
A l’aube de la seconde guerre mondiale, Hitler décide de visiter les plus beaux musées de l’Italie en compagnie de Mussolini. Ils sont guidés pendant trois jours par un intellectuel antifasciste réquisitionné pour l’occasion. Celui-ci assistera à l’effroyable manipulation du discours sur l’art permettant d’affirmer la doctrine fasciste.


Silla et Mario sont les deux principaux protagonistes de l’incroyable témoignage que nous livre Ranuccio Bianchi Bandinelli dans son récit Quelques jours avec Hitler et Mussolini, paru aux éditions Carnets nord en 2011. Vous l’aurez compris, Silla étant Hitler et Mario, Mussolini.
Ce récit est extrait de l’autobiographie de Bandinelli, Journal d’un Bourgeois, édité pour la première fois en 1948. Bandinelli est un intellectuel italien et fait figure de référence dans le domaine de l’archéologie et de l’histoire de l’art antique. Il est notamment reconnu pour ses études sur l’art romain et pour son engagement dans la conservation du patrimoine artistique italien. Comme beaucoup d’intellectuels de son époque, il assiste à la montée du fascisme et à l’adhésion de ses pairs. Il réagit spontanément par un refus esthétique et moral là où la tendance politique du moment y voyait un moteur pour les idées socialistes les plus prometteuses.


En 1938, Hitler décide de faire son premier voyage en Italie pour y découvrir le patrimoine culturel. Parce qu’il parle allemand, le ministère de l’Instruction publique ordonne à Bandinelli d’être le guide touristique d’Hitler et de Mussolini dans les plus beaux musées de Rome et de Florence pendant trois jours. La rencontre avec ces deux hommes à la fois terrifiants et ridicules bouleversera la vie intellectuelle de notre auteur.
Loin des traditionnels récits historiques, Bandinelli retranscrit cette expérience complexe avec une plume distante et acerbe. Toutefois, le lecteur vit au plus près les tensions et les événements décrits. Dès les premières pages, nous entrons dans la psychologie des deux dictateurs qui paradent devant les plus beaux chefs d’œuvres de l’histoire de l’art. Les descriptions sont d’une limpidité évoquant la précision du discours historique. En effet, l’auteur indigné relate avec exactitude les comportements et les paroles échangées, jusqu’à la physionomie des personnages, en mettant en exergue leur insignifiance mais également leur dangerosité à travers l’idéologie croissante qui mènera l’Europe à la seconde guerre mondiale.


«Mais, contrairement à Mussolini qui, ne cachant pas son désintérêt, traversait les salles sans regarder ou s'approchait d'une œuvre pour lire l'étiquette, se planter en face, si c'était un mur blanc, ou hocher la tête, Hitler aimait réellement les fausses qualités artistiques qu’il repérait, il en concevait de l’émotion. Comme un garçon coiffeur à l’opéra quand le ténor pousse son aigu ».


En filigrane, la question du pouvoir est abordée par l’analyse de la relation concurrentielle entre les deux dictateurs. Tandis que le discours idéologique se manifeste à travers l’instrumentalisation politique des œuvres d’art. Cependant, nous nous demandons au cours de la lecture pourquoi cet éminent intellectuel a accepté d’accompagner ces deux despotes ? De plus, Bandinelli avait réfléchit aux différentes possibilités d’organiser un attentat. Cela aurait pu changer l’Histoire. Mais vous découvrirez tout au long de ces 92 pages un homme qui a fait l’expérience de son impuissance, un homme qui dira de lui-même : « Je suis un homme médiocre ». Effectivement, contrairement au prétendu Surhomme en quête de reconnaissance et de pouvoir, seul l’homme ordinaire cultive un regard critique et libre.


Clément Montagne

Créée

le 20 avr. 2015

Critique lue 113 fois

Critique lue 113 fois

Du même critique