Recueil de poèmes rédigés pendant les dernières années de sa vie, alors qu’il était affaibli par la maladie, Quotidiennes est marqué, sans surprise, par la simplicité, la concision et la lucidité propres à Guillevic. Au gré de remarques et de questionnements sur des éléments, quelquefois ordinairement jugés comme plus ou moins prosaïques, de son environnement (pâquerette, rocher, lune, ciel, etc…), qu’il tutoie comme des familiers (et l’on ne peut que croire à cette familiarité), on retrouve, avec une attention portée à leur matérialité, l’authentique et obsédante préoccupation du poète autour de son rapport aux choses et de leur façon d'exister.


Ici, pas de dissertation suivie (Paroi), mais des notes constituées au jour le jour, ordonnées chronologiquement, liées par la forte cohérence créée par cette relation particulière au monde et son questionnement redondant. Empreints d’une légèreté grave, ou d’une gravité légère, ces courts poèmes, très accessibles, seront l’occasion, parfois de poser sur les choses du quotidien et de la proximité un autre regard, parfois simplement d’entendre comme une confidence l'intime souci ou le secret bonheur d’un poète jamais plaintif. Agréable lecture.


Quotidiennes est également touché ici et là, avec une discrétion qu’à la lecture on imputerait moins à de la pudeur qu’à une formidable capacité à être attentif et ouvert aux choses qui l’environnent malgré tout, par la conscience de la part de l’auteur de sa disparition prochaine, ce qui donne au recueil une tonalité plus poignante, peut-être aussi à cause de l’ombre du regret qui nous traverse devant la qualité d’une existence poétique au seuil de son absence, absence d’un monde dont il connaît mieux que nous l’énigme, l’opacité comme la beauté.


Pas le recueil le plus marquant du monsieur – même si la question de son aboutissement ne se pose pas à mon avis, ne serait-ce qu’au regard de la forme qu’il prend – et il comporte ses facilités, ses faiblesses, évidemment.


Et cependant, et depuis le temps que je n’avais pas lu Guillevic, il m'a parlé, il m’a été une nouvelle fois sympathique, il m’a suffi. Lire Guillevic me manquait, et peu importe si j’aurai peut-être été par moment davantage émue par cette voix que je savais sur le point de se taire plutôt qu’attentive aux textes eux-mêmes. Je ne peux que saluer l’authenticité et l’efficacité humble, sur notre propre regard, de son expérience de poète jusqu’au bout.



Pourquoi, champ de blé,

Cries-tu si fort

Vers l'azur ?

Est-ce la joie

De sentir que tu mûris

Et que tu deviens

Pleinement toi-même ?

Est-ce la douleur de savoir

Que lorsque tu seras mûr

On viendra t'arracher,

Te séparer de tes racines nourricières,

T'enlever la vie ?

Ou ne serait-ce pas simplement

Que tu cries

Par besoin de crier ?

Je connais ça.

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le 12 mai 2022

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