Radical
5.3
Radical

livre de Tom Connan (2020)

Un pur produit de l'énergie médiatique

24 ans, c’est jeune. Et pour un premier roman, dans un art comme la littérature, c’est suffisamment jeune pour que ce fût souligné à longueur d’articles/billets d’humeurs, etc. D’un auteur jeune, d’un primo-romancier on peut pardonner quelques fautes de style, des longueurs, des personnages insuffisamment construits, un récit où des fioritures peuvent se glisser, bref, un matériau brut qui s’affinera avec le temps, notamment grâce à l’aide de l’éditeur et des critiques.
Et bien sûr, le temps passant, on grandit, on mature, on n’a plus forcément les mêmes sujets de préoccupation.
Je ne pense pas que l’on puisse pardonner à Tom Connan la naïveté, la débilité et l’absence de contenu de son premier roman. Dans ce personnage médiatique que l’auteur se construit, on sent transpirer une personnalité égocentrique, dont les opinions sont si valables qu’elles doivent être écoutées sans interruption et presque approuvées dès que la messe est terminée. Bref, un prêtre au pays des incroyants qui cherchent désespérément une idéologie à laquelle se rattacher.
Et du prêtre, en effet, il a la conviction. Notre époque est la pire que l’humanité ait pu vivre, et il est impossible que cela aille mieux, parce que notre jeunesse est perdue. Exemple, les personnages de mon livre. On y voit un étudiant dont le rêve d’une vie bourgeoise vole en éclat lorsqu’il rencontre celui qui vient de la réalité, celui qui rencontre tous les jours des gilets jaunes, celui qui voit le monde comme il est, et pas à partir d’études et de livres trompeurs d’universitaires (de gauche, mis est-il besoin de le préciser, puisqu’après tout les étudiants de Science Po sont sûrement tous de gauche et ne lisent que Bourdieu ou Foucault). De cette rencontre naît une relation fusionnelle, peut-être même fissionnelle : elle dégage tellement d’énergie que cela ne peut que conduire à l’explosion. Et il est vrai que, pour favoriser cette tension, Tom Connan a utilisé deux-trois astuces un peu artificielles : Harry est un sanguin, il change de caractère parfois d’un coup d’un seul, en dehors de toute règle de vraisemblance ; le narrateur, lui, se laisse tout le temps faire et ne se pose aucune question (c’en est presque même inquiétant, comment une telle larve pouvait intégrer une école comme Science Po s’il n’a aucune personnalité que scolaire ; et si sa personnalité est scolaire, comment est-il possible de l’abandonner aussi facilement au détour d’un plan cul ?).
La finesse psychologique des personnages permet le déballage intellecto-masturbatoire de l’auteur. Et quel plaisir de voir tant de noms cités, ah oui, l’auteur s’est bien renseigné sur le sujet de l’extrême-droite et sait bien nous dire qui pense quoi. Aussi, pour lui, nous donner le détail de ce qu’est la fachosphère lui permet d’appuyer sa thèse que la jeunesse, de nos jours, se radicalise. Pour la raison que les contenus se multiplient et qu’ils sont facilement accessible, alors les gens deviennent dingues et ça peut arriver à n’importe qui, même et surtout à des homosexuels qui, ô surprise, ne sont pas tous des progressistes d’un point de vue social.

À la Perec, voici donc un auteur qui aime à nous faire une bibliographie nauséabonde. Mais pourquoi ? Sans recul critique, simplement pour nous montrer la société dans laquelle certains radicaux vivent. De mon point de vue, j’ai plutôt eu l’impression d’un intellectuel qui voulait déballer ses références, faire savoir qu’on ne pouvait pas le coincer sur tel sujet parce qu’il savait tout, jusqu’à l’auteur le plus obscur et pas forcément consensuel.
Et le livre, dans tout ça ? Prétexte à un déversement de haine contre notre époque. Pas une haine à la Houellebecq, qui naît d’un spleen et d’un dégoût de la vie, parce qu’elle n’a cessé de montrer sa fadeur. Là c’est une haine de jeunesse, une haine comme on en voit chez les gamins de 14 ans qui taguent les murs du collège et roulent en mobylette. Oui, une haine immature, hors-sol, de la part de personnages qui n’ont rien vécu, pensent avoir tout vu parce qu’ils ont parlé avec ceux qui ont vécu, et ont lu des raisonnements qui, à leurs yeux, sont valables, mais qui ne les ont jamais mis en pratique, fait fonctionner par eux-mêmes.
Ce roman immature a donc toutes les raisons de bien fonctionner en librairie : chaque chapitre déverse son lot de dopamine, du genre « oui, c’est exactement ce que je pense aussi », et en même temps salit les mains, les yeux, l’esprit d’une intrigue moins subtile qu’une pastorale.

Que l’on ait écrit cela ne m’étonne guère. Qu’on l’ait publié m’inquiète déjà beaucoup plus.

Penpen
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le 22 sept. 2020

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