Ravage
7.2
Ravage

livre de René Barjavel (1943)

Dans notre confortable siècle du smartphone, c’est vrai qu’il est cocasse de lire une vision du milieu du XXIe siècle dans laquelle le premier usager des transports venu consulte l’édition du soir en attendant son prochain train. En termes d’anticipation, Barjavel expose des intuitions qui, pour être esthétiques, demeurent profondément pessimistes, dans lesquelles un Paris quasi entièrement électrique ne tarde pas à révéler ses revers dystopiques d’inégalité sociale (petits artistes indépendants réduits à habiter les quartiers souterrains miteux, uniformisation des comportements par impulsions électriques…). Des revers sociaux aux avancées technologiques, le brûlot contre le progrès est clair et net.


Et Barjavel tombe méchamment dans le piège du style ultra formaliste ; trop pointilleux, rigoriste, trop neutre pour créer une véritable implication dans ses imprécations. La vision d’un Paris livré au chaos, véritable charnier cédant aux flammes est angoissante, mais décrite sans profondeur son effet ne se réduit finalement qu’à la simple objectivation d’une violence latente. Sans plus. La littérature post-apocalyptique a des tenants et aboutissants plus caractérisés dans leur démarche, et la viscéralité de Barjavel n’est guère plus que de surface.


Et les personnages de son Ravage confirment bien malheureusement ces défauts, brillant par leur manque de profondeur : si on sait que François Deschamps est un agronome émérite en devenir et Blanche son amie d’enfance et promise, préférant embrasser la carrière de cantatrice, poussée par un petit connard répondant au nom de Seita, ce trio forme à peu près notre unique référentiel, le reste s’effaçant bien rapidement au fil des pages. Tout juste nous préoccupons-nous de la mort du docteur Fauque, mais le reste peut bien mourir on n’y prête pas plus attention que ça. En fait on se préoccupe bien justement de la veine régressive, que promet le genre post-apo, à la fatalité de laquelle ce microcosme est destiné, du confort électrique aux bicyclettes, pour finir réduit aux chevaux, tout en passant des combinaisons automatiques aux pagnes en sac plastique pour régresser jusqu’à la nudité. L’homme est le propre instrument de sa perte, bien sûr, et se trouve incapable d'assurer sa préservation sans l’aide d’une figure tutélaire.


Il y a quelque jours je m’entretenais avec un autre SensCritiqueur sur une comparaison entre Robert Merle et Barjavel en arguant que le Malevil du premier insistait davantage sur les divergences idéologiques du groupe dans un milieu post-apocalyptique : Barjavel étant plus rentre-dedans dans son message écologique, et son Ravage faisant la moitié de la longueur du premier, ne pouvait pas tellement laisser place à de telles considérations, sauf à la fin, lorsque son paradis utopique est bien dûment établi. Comme Merle, la préoccupation et les potentialités du monde et du domaine agricoles prédominent dans l’optimisme de la reconstruction d’un monde refusant toute nouvelle forme de progrès technologique. On serait presque dans la représentation d’une société anticapitaliste si ne subsistaient pas encore les systèmes d’échanges commerciaux. C’est vraiment là que Barjavel brouille le plus les pistes, sur la véritable orientation idéologique de sa conclusion, qui ne fait pas la part belle à de réels conflits internes comme Merle a pu avoir l’intelligence de le faire. A la place on décide de détruire les livres, instruments du savoir ayant participé à la dégénérescence de l’homme, sans que cette origine ne soit nuancée par autre chose que la poésie, qui ne fait du mal qu’à leur propre auteur, ou n’ait été expliquée préalablement dans le récit. Le référent anti-pétainiste (légitime mais dangereux en cet an 1943) a beau être clair, le reste mériterait davantage de développement.

Aldorus
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le 30 mars 2018

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Aldorus

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