Au sortir de la seconde guerre, l'espoir avait du plomb dans l'aile et le sang noir coulait sensiblement au sein des pages, marquer de la distance, tel était le but à atteindre.

Plutôt que viser des cimes inatteignables d'un nouveau monde élaboré, René Char, sitôt la guerre finie dégainait à nouveau sa plume comme une épée, René Char, qui au demeurant ne porte bien son nom que physiquement, lui qui avait la corpulence et la stature d'un char d'assaut, Char disais-je, qui conquit de nouveaux espaces avec ses aphorismes, étale ici une base indispensable faite d'hommages vibrants à ses compagnons de lutte, ses jeunes soldats au destin brisé, puis, récupération méthodique et lapidaire, arrache des pattes du Cerbère ce qu'elle nous a volé et gardait lâchement, l'Art et sa portée, enfanté par les génies d'alors.

À cette condition, la recherche du sommet devint tangible, au hasard de rencontres (son poème à une passante est fort riche d'enseignements) et des souvenirs d'amis artistes se substituent des évidences, et sous la terre quelque nodule mélioratif. S'il s'évade des turpitudes ce n'est pas pour demeurer au lieu des nuages, s'il prend de la hauteur c'est pour mieux comprendre sur quoi on met les pieds.

René Char ne s'inquiète pas de concordance, son fil conducteur est celui d'Ariane qui garde trace du surréalisme, s'il a quelque chose de franc et direct dans son approche de la l'inconscient, c'est par détours qu'il nous restitue l'essentiel, la nourriture de l'âme, où la sortie du labyrinthe est hissée vers d'autres lieux que les communs, une profonde exigence d'intellect et de grandeur.

Passant des peintres aux poètes, ne s'interdisant pas d'y glisser Héraclite au passage, il dresse les portraits et, comme un arapède obtus ne lâchant que légèrement la moelle rocheuse et poétique au profit de la philosophie, érige des clefs sans perdre haleine.

Jamais abscons, souvent exigeant, d'une clarté énigmatique, pour reprendre son expression.

Ni posture rigide des observateurs habituels ni faveur obstinée de la passion, Char se tient en critique lucide, presque sculpteur tant il dégrossit le superflu entourant ces personnages atypiques pour n'en garder que l'essence. À l'image de Rimbaud, dont il ne se préoccupe pas des étiquettes usuelles, certes véridiques, de voyant ou voyou ; Rimbaud Poète suffit, avec toute l'éloquence que comprend ce terme.

René, toujours chercheur de vérité, termine son ouvrage (plus que recueil) avec des pensées et aphorismes dont il a le secret, d'une rare justesse sur la poésie, notre société ou autre. Un exemple: "On oublie trop que ce ne sont pas des doctrines qui sont au pouvoir, mais des individus et des tempéraments. L'arbitraire, l'évolution ou le bien-être obtenus dépendent plus de la nature particulière des hommes que de l'exercice et des objectifs des idées. Mais, à la longue, le dard sourd des idéologies..."

Encore faut-il avoir tout au moins connaissance des artistes en question pour bien saisir l’entièreté de l’œuvre, mais il y a toujours dans le regard du véritable poète un attrait, des germes de lumière, capables d'éblouir ou réchauffer jusqu'au tréfonds du cœur. Et qu'importe les yeux aveugles au spectre des couleurs.

Que cherchait-il donc ? "- Son sang lointain", les questions plus que les réponses, le sperme cosmique, "la tache pure au-delà de l'écriture souillée".

Nielad-Divinorum
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le 8 août 2023

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