Le grand-œuvre psychodélique de Roland C. Wagner

Depuis le temps qu'on m'en parle, j'ai fini par lire Rêves de Gloire, le roman de Roland C. Wagner que beaucoup considèrent comme son "Grand-œuvre". Il est vrai qu'avec ses huit cents pages en version poche, le bouquin se pose un peu là! Paru en 2011, c'est aussi, hélas, son dernier roman.


Rêves de Gloire, c'est la chronique d'une Algérie contemporaine qui n'a jamais existé: après l'assassinat du Général de Gaulle en 1960, la France s'accroche à sa colonie et finit par en accepter l'indépendance qu'en 1965, tout en gardant trois enclaves. Dernière de ces terres françaises, Alger elle-même, qui finit par déclarer son indépendance en 1978, refusant de choisir entre une France dictature militaire et une Algérie fédérale.


Dans les mêmes années, la France vit l'émergence du mouvement vautrien, une sorte de flower-power mâtiné de Mai-68 avant l'heure, alimenté par la liberté sexuelle, la musique et une drogue nommée la Gloire et qui rappelle beaucoup le LSD. Sexe, drogues et rock'n'roll, le tout culminant avec l'Été insensé qui, en 1966, voit l'émergence d'un gigantesque festival dans les Landes; l'épisode est raconté dans l'anthologie U-Chroniques.


Rêves de Gloire, de par sa structure chorale qui fait appel à une bonne vingtaine de narrateurs différents – probablement plus, j'ai perdu le compte – n'est pas un roman des plus faciles à lire. Il y a certes une trame, qui tourne autour de la quête d'un collectionneur qui recherche un rarissime quarante-cinq tours – et des morts suspectes qui l'entourent. Mais l'ensemble de l'ouvrage est plus consacré à la chronique des quelque cinquante ans qui séparent cette histoire des débuts du mouvement vautrien.


Un signe qui ne trompe pas: presque tous les protagonistes qui racontent leur point de vue, en des lieux et des époques différentes – y compris le collectionneur, dont le parcours ressemble beaucoup à celui de Roland C. Wagner lui-même – restent anonymes tout au long du bouquin. Leur nom n'est jamais évoqué.


Malgré cette difficulté, j'ai du mal à considérer Rêves de Gloire autrement que comme une œuvre magistrale. Certes, il y a le fait que le thème appuie un peu sur tous mes boutons: la musique qui change le monde, l'uchronie. Mais, objectivement, c'est un bouquin qui est impressionnant de maîtrise, avec des éléments historiques, ses extraits de biographies de groupes imaginaires, ses parallèles avec notre histoire.


Et, d'ailleurs, en le lisant à la lumière de 2016, on ne peut qu'être frappé par certains parallèles, entre la France qui se droitise à fond et se lance dans des aventures militaires, l'Algérois sous les bombes ou la radicalisation de certains pays musulmans.


Il faut surtout le voir comme une chronique d'un temps qui n'existera jamais, d'une uchronie où le monde a été changé par la musique, par la drogue et par des idéaux égalitaire. C'est aussi une ode au vivre-ensemble, avec un Algérois où coexistent les trois religions et ceux qui n'en n'ont pas, les Européens et les différentes ethnies maghrébines.


Rêves de Gloire regorge d'expressions franco-algériennes, historiques ou inventées, qui donnent une coloration particulière à l'ambiance: on y écoute du psychodélique ou du lourdingue (sur des vinyles, vu que le CD n'a jamais percé), on y croise des tsibis en y buvant une anisette – de la vraie, pas l'ersatz que les Français de métropole connaissent sous le nom de "Ricard" – ou du chouchen dans la casbah vautrienne.


C'est à la fois familier et dépaysant, même si parfois on rêve d'en avoir une version annotée, pour capter toutes les références – notamment musicales, avec la présence de Pete Best et Martin Birch ou l'étonnant destin de Dieudonné Laviolette, parallèle antillais de Jimi Hendrix. J'ai quelque peu ricané sur la disparition de Johnny Haliday (tué dans un attentat en 1964) ou sur l'allusion au jeu de rôle.


Roland C. Wagner et moi, ça n'a pas toujours été simple, mais avec Rêves de Gloire, je tiens enfin le bouquin qui me permet de le classer dans mon panthéon personnel des auteurs de SF qui dépotent.

SGallay
8
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le 29 janv. 2016

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