Un titre comme ça n'annonce qu'une chose : le monde sera déserté par la violence humaine. La fin du monde.

Sauf que dans ce roman à trois voix, on est dans une fin du monde. Une petite fin d'un monde pour être exact. Le monde des vieux contre celui des jeunes. Destruction parcimonieuse des deux camps, l'un par l'autre.

Bienvenue dans un Paris saccagé, libéré de son passé.

"C'est un immense cube de caillasse. Son ancien nom peut encore se déchiffrer, gravé sur le fronton : théâtre de l'Odéon. Des affiches d'Antigone traînent sur les murs, on se torche avec les programmes du temps passé rendus délicats et illisibles par l'humidité." (p. 104)

La révolte en bloc et sans nuance. Les jeunes lassés des manipulations et des limites imposées arbitrairement par les vieux prennent les armes et tuent leurs propres parents, détruisent ce qui les contient dans leur fonction de "jeune" et essaye de survivre.

"J-82. THEORIE (6) ... L'éthique ne souffre d'aucune exception. La date de péremption (vingt-cinq ans) n'est pas approximative." (p.101-102)

Trois voix narratives donc :

1/ Les Théoriciens. Style oratoire et d'affiches, de tracts, de flyers. On comprends mieux le pourquoi du comment des événements grâce à eux. Cette voix est parfois très drôle dans sa violente absurdité, et pourtant inspiré parfois de certains textes et interprétations – eux bien réels. Ce qui donne encore plus de poids à leurs dires, de l'immersion à l'état pur.

"J-78 – THEORIE (7) – Recouvrement systématique des affiches, jusqu'à renoncement des régies publicitaires."

"Êtes vous des jeunes ou des oies? Des jeunes, vraiment? Alors pourquoi laissez-vous les vieux vous engraisser de fiction?

Ils ne nous gavent pas seulement pour l'argent. Ils savent que la fiction nous tiendra à carreau, canalisera notre énergie, transcendera nos désirs d'exception, tout ça pour nous replonger dans un quotidien triste et chiant à crever, avec comme dernier espoir de gagner de l'argent. Actionnaire, notre idéal ultime. Pourceaux, notre petit nom. (...)" (p.108-109)

2/ Silence. Un pseudo. Un sniper. Des scènes de jeux vidéos. Des scènes de comics de zombie (sauf que c'est des vieux). Des pensées rationnelles et des gestes esthétiques. Un tueur post-apocalyptique dans les règles de l'art. Personnage lui-même mythique dans le fil du roman. Par sa lucidité sur la situation, il est notre pivot central tout au long du roman pour comprendre ce qui se passe, quels fils s'entremêlent pour dessiner quel paysage.

3/ L'Immortel. Un pseudo. Un autre sniper. Plus bourrin, plus ridicule. Et en même temps moins égoïste, plus compulsif que Silence. Pourquoi choisir des comparatifs avec Silence? Parce que lui-même veut être Silence, lui ressembler, le dépasser. Dans une guérilla urbaine menée par des jeunes non militarisés, les bons tireurs sont rares, les places d'honneur sont chères et prisées. L'immortel l'est car il est lâche. Et puis le temps s'accélère.

4/ Le temps. Pas vraiment une voix, mais un fil continu qui est presque comme un personnage. Chaque intervention d'une des voix est précédée par un compte à rebours journalier : "J – x". Dès le début, on le sait, les forces internationales ont lancé un ultimatum aux jeunes révoltés de Paris. Ils ont une centaine de jours pour arrêter.

...

Et ça, ils ne le veulent pas.

Nous sommes donc juste avant la fin du monde qu'ils viennent de créer. Et juste après le monde qu'ils ont détruit. Avec le compte des jours qui passent. Grains de sables, gouttes de sang.

L'intrigue est presque policière, car qui dit révolte, dit jeux de pouvoir et tout ce que ça peut contenir de trahison, solidarité et moyens de pression. Et d'un autre côté la relation de Silence et de l'Immortel se complique et se trouble. Intrigue romanesque plus subtile mais tout aussi importante.

Un bon roman, drôle, absurde, violent, réfléchi. Passant par toutes les couleurs narratives que l'on aime. Une intrigue bien ficelée. Presqu'un peu trop film d'action par moment. Une fin d'un monde inéluctable. Ou comment créer sa mini apocalypse personnelle.

Jouissif comme un zombie sniper.
Misarweth
8
Écrit par

Créée

le 13 févr. 2012

Critique lue 433 fois

2 j'aime

Misarweth

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