Robida
Robida

livre de Philippe Brun (1980)

Albert Robida est né en 1848 et est mort en 1926. Ces simples informations biographiques pourraient être anodines, mais elles prennent tout leur sens pour cet homme aux multiples talents, mais qui était à la fois de son temps et en dehors, dans la projection, dans l’anticipation.

Si Albert Robida a été journaliste ou écrivain, il est surtout reconnu pour ses illustrations, à la fois d’un charme futuriste désuet, mais aussi révélatrices d’un incroyable sens de la divination. Robida se projetait dans le XXième siècle, imaginant ce que le futur allait nous réserver. Avec parfois un certain sens de l’acuité.

Nous sommes encore dans la France de la IIIe République, le XIXe siècle du Progrès, une certaine confiance dans la marche civilisatrice de l’Humanité. Robida imagine les innovations électriques de demain, avec un certain sens de l’amusement. Il prévoit l’enregistrement de la musique ou des conférences pour les écouter chez soi, il imagine la retranscription en temps réel des spectacles (via le « telephonoscope »), quand ces activités se vivent alors encore essentiellement sur place, dans les fauteuils des salles. La mécanisation du transport ne fait plus de doutes, délaissant les chevaux et les carrosses pour des véhicules motorisés extravagants et accessibles à tous, quand l’automobile n’est encore qu’un luxe.

Ses idées lancées ne résonnent pas forcément avec ce qui est arrivé, mais le décalage est amusant quand il se crée, soulignant ce qui apparaîtrait alors comme de la naïveté. Robida ne semble guère avoir confiance dans le train, peu représenté, remplacé par des tubes, mais il imaginait plus facilement l’espace aérien rempli d’aéronefs en tout genre, de formats plus réduits, parfois individuels, tels ces « aéroclettes ». Là encore l’imagination assez graphique des illustrations charme, l’aérodynamisme est grossièrement respecté, les contraintes aérotechniques beaucoup moins, seul compte l’allure.

Il se fait aussi devin du quotidien du demain, questionnant les nouvelles vies qui s’offriront aux populations futures. Un étalement urbain vers le haut, où l’électricité et ses fils sont partouts, la réclame omniprésente dans les rues. Il s’en amuse, notamment quand il imagine des tapis pour motocyclettes, des concierges aux attributions bien différentes, et autres montgolfières pour remplacer les escaliers.

D’autres facettes de ce monde de demain résonnent avec ses sensibilités. Il prédit la révolution féministe, annonce les suffragettes, tord les discours pour leur cause. Il est d’ailleurs important de lire les légendes des images, de quitter un peu l’évocation de l’iconographie pour s’attacher aux textes qui les accompagnent. Ils sont souvent malicieux, d’un humour distancié, mais il faut parfois de bons yeux pour lire ce qui est indiqué selon la reproduction choisie.

Robida est à la fois un homme de ce temps, mais aussi hors de celui-ci. Ce qu’il imagine de beau et d’amusant dans le futur, il le fait pour répondre aux attentes de son public, mais aussi pour s’évader d’un quotidien technologique et agité qui ne le satisfaisait guère. Il peut se montrer passéiste, ses différentes allégories n’étant d’ailleurs pas ses meilleures travaux, soucieux de la perte des bonnes vieilles valeurs dans une époque certes confiante dans le Progrès mais toujours autant si moralisatrice.

Il n’appréciait guère l’agitation parisienne, vivant heureux au calme, avec sa famille, dans la province. Cette modernité envahissante, il la voit aussi avec regret s’en prendre aux monuments du passé. L’Inspection générale des monuments historiques est alors récente, crée en 1830, ses choix sélectifs. Il illustrera plusieurs guides de voyage, exposant avec amour sa passion des vieilles pierres dans un trait plus réaliste, un aspect souvent oublié de son travail et peu présent dans plusieurs des ouvrages qui lui sont consacrés. L’industrialisation et l’urbanisation l’inquiètent pour cette raison, mais aussi pour d’autres. Il vante alors les mérites de l’air frais, de la nature, de l’aménagement de parcs et de réserves, une vocation écologique avant l’heure, toujours d’actualité.

Mais là où l’anticipation de Robida est plus cruelle, c’est quand elle s’exerce à la guerre, notamment dans La Guerre au vingtième siècle en 1887. La chimie et ses possibilités destructrices l’inquiétait, il en pressent déjà l’utilisation à des fins guerrières (« la guerre miassmatique »). La mécanisation des moyens de transport se fait aussi à la guerre et pour la guerre, avec des tanks, des avions et des sous-marins. Et en évoquant les conflits mondiaux, il ne fait que présager l’arrivée des guerres mondiales. Le choix des uniformes, les créatures de fer et de métal (parfois plus belles que dangereuses) ou certaines idées saugrenues comme ces baleines cuirassiers, ou ces blockaus roulants, pourraient amuser, la beauté de la composition duper le lecteur, mais l’avertissement était déjà là, glacial.

Pendant longtemps, l’oeuvre de Robida a été délaissée. Il a d’ailleurs beaucoup dessiné et écrit de son vivant, et on appréciera sa facette la plus reconnue, ses illustrations de science-fiction au charme rétro dans Le Vingtième Siècle (1883), Le Vingtième Siècle. La vie électrique, 1890 ou La fin du cheval (1899) mais aussi dans de nombreux ouvrages illustrés, dans la célèbre revue de son temps La Caricature qu’il a fondé et dirigé, ou ailleurs. Certaines planches sont moins travaillées que d’autres, mais la variété de son style étonne, parfois plus réaliste, parfois plus fantaisiste, aux tons plus optimistes, parfois plus pessimistes. Ses meilleurs travaux fascinent, proposant des illustrations riches, où le regard se perd, à la fois dans leur contemplation mais aussi quand l’imaginaire nous emporte à l’intérieur.

Mais son style entre Années folles et anticipation désuette a pu lasser, à mesure que le Vingtième Siècle s’installait de plus en plus. Robida est redécouvert depuis quelques décennies, parfois pillé aussi, tant ses créations sont fantastiques.

Cet ouvrage n’est assurément pas le meilleur à avoir, d’autres sont sortis depuis. Sa préface est un peu courte, la personnalité ou la vie de Robida étant juste esquissés, c’est tout juste s’il n’est pas moqué pour n’être « que » un homme simple et modeste. Il manque la couleur aux illustrations qui en possédaient. La qualité de certaines reproductions n’est pas parfaite. Mais son grand format leur permet de respirer, d’exposer leurs détails nombreux ou le texte qui accompagnent certaines. Il m’a permis de découvrir un auteur fascinant, dont j’avais vu déjà quelques planches défiler sans les identifier.

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