Vox Humana - Laurent Gaudé a pris ses quartiers dans ma bibliothèque avec "Le Soleil des Scorta" et n'a eu de cesse depuis d'en poursuivre la colonisation. En digne héritière de ses prédécesseurs, "Salina" n'est venue que réaffirmer mon goût prononcé pour le timbre si singulier de cet auteur.
Je dis timbre à escient car je me souviens de cette lecture comme d'une empreinte vocale, comme si l'histoire de "Salina" m'avait été racontée. La forme du monologue qui structure la narration participe certainement à ce ressenti, mais c'est aussi la vibration "orale" et la dimension théâtrale du style Gaudé qui font que l'on entend son récit davantage qu'on ne le lit.
Une Fresque Archaïque - "Salina" se déroule dans un monde de sable et de pierre, âpre et rugueux, qui convoque chez le lecteur un imaginaire familier mais lointain, à la fois ancestral et intemporel. Les personnages semblent fabriqués d'une étoffe de légende et oeuvrer à l'élaboration d'un récit d'utilité mythique. La force évocatrice des mises en scène et l'inventivité des ressorts narratifs captivent et tiennent en haleine.
Je pense notamment à la sublime poésie qui se dégage du tableau composé de barques de pêcheurs agglutinées autour de Malaka, le troisième fils, qui raconte sa mère pour que sur une île mystérieuse vers laquelle il dérive, les portes d'un cimetière qui écoute, décideront ou non de s'ouvrir pour accorder à la dépouille maternelle sa dernière demeure. Il y aussi le raffinement de la vengeance de Salina, qui disperse aux quatre coins du désert les vertèbres du cadavre de Sissoko, le chef du clan Djimba, responsable de son bannissement, afin de lui interdire le repos éternel et tourmenter sa veuve.
Patriarcat - A ce tableau d'ensemble très réussi, je signale toutefois un bémol qui tient à la nature exclusivement patriarchale de l'arrière-plan. Bien sûr, Gaudé nous rend témoin de l'arbitraire, de la cruauté et de la violence de la domination de genre, mais dans une sorte de paradoxe contre-productif, il réduit malgré tout la trajectoire de son héroïne, ses passions, ses exils, ses choix, ses maternités, à cet assujettissement.
Il a beau faire d'elle une combattante qui se dresse contre l'ordre des choses, en n'explorant aucune autre facette de sa psychologie et en la présentant exclusivement en amoureuse amère et en une mère vengeresse, il livre un personnage somme toute un rien manichéen.
Conclusion - Malgré sa relative brièveté (149 pages dans l'édition Actes Sud) "Salina" est un roman riche, dense qui comme un carré de chocolat de haute qualité dure longtemps en bouche et satisfait les papilles sans que l'on ait à engloutir la tablette entière.
Je ne peux qu'en recommander chaudement la dégustation.
Bonne lecture,
Amités,
Dustinette