C'est un livre intéressant qu'il m'a été donné de lire.
Parmi les genres musicaux que j'écoute le Rap et le Hip-Hop tiennent une bonne place. En tant que connaisseurs d'artistes maniant la langue de Molière comme de vrais esthètes, en tant que poètes ou romanciers, je ne comprends toujours pas pourquoi la plupart des médias s'acharnent sur ce genre. Ils ne comprennent toujours pas que comme toute création il leur faut gratter sous la vile surface afin de trouver les trésors…
Alors bien sûr, aujourd'hui il est rare d'entendre à la radio des artistes maniant bien la langue française, ou du moins en essayant d'en faire quelque chose de différent. Les radios et les adolescents qui achètent en masse donnent une mauvaise influence sur ce business. Les poètes de ce genre sont donc quasiment oubliés. Certains de nos troubadours n'ont donc plus que la verve lyrique qui claque, mais le langage reste dorénavant bien pauvre. Mais qui se penche sur les textes de rappeurs comme Iam, NTM, Doc Gyneco, Abd al Malik, NAP, Oxmo Puccino, Rocé (plus récemment peut-être Bigflo & Oli) est obligé de considérer qu'il y a un travail fait sur la langue qui est indéniable. Ils connaissent les règles des poèmes classiques et surréalistes, ils lisent des romans (en écrivent), ils font appel aux héros de la littérature classique et de la culture populaire, ils paraphrasent, ils métaphorisent, ils adaptent leurs textes dans un processus créatif. Il faut donc beaucoup de mauvaise foi, ou une profonde méconnaissance pour affirmer que la vraie musique est totalement morte et que ces personnes ne font que des babillages à jeter dans les caniveaux. Ils sont capables de discourir dans tous les niveaux de langues, même si certains déplorent l'inégalité de l'accès à la culture pour tous, et c'est ce que ce livre nous montre.


Bettina Ghio nous explique ici toute la richesse de la langue utilisée par ces auteurs, leur rapport à la littérature française classique avec par exemple des livres comme les Misérables de Victor Hugo ou Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand. Elle n'hésite pas à faire un parallèle avec le statut de Louis-Ferdinand Céline qui lui aussi avait été capable de modifier la prose française et d'apporter le langage parlé dans l'écrit avec Voyage au bout de la nuit. Plus encore, lui aussi il attaque l'état, ses institutions, quant à ses capacités à faire accéder la culture à un plus grand nombre, mais aussi à la police et ses tentations racistes en pleine période coloniale. Elle fait également un rapport à la littérature française par des ouvrages récents traitants de la banlieue ou d'autres thèmes. le but de l'auteur est de montrer que les mêmes revendications sociales et les mêmes textes existent chez les écrivains que chez les rappeurs mais que les premiers ne sont jamais attaqués par la justice, les derniers oui. Elle fait donc la critique que nos institutions vieillissantes et inadaptées acceptent bien la critique littéraire, mais jamais la critique orale.
Le rapport à la poésie française est indéniable. La construction des textes des rappeurs français en utilise les règles, mais ils ne le font pas tous de la même façon. Si NTM ou IAM utilisent la plupart du temps des rimes plates, les textes de Mc Solaar, Oxmo Puccino ou Rocé par exemple sont des trésors d'écriture et de conception. Si chez Mc Solaar le travail sur les sons et sur les beaux mots est un amusement, chez les deux derniers le travail de la rime est beaucoup plus rigoureuse. Et plus qu'un trésor d'écriture, c'est une réelle richesse auditive que ces personnes procurent. le jeu de la langue est indéniable à l'écrit, mais le flow si particulier à chacun nous fait vivre intensément chaque discours, comme un retour des anciens troubadours. Bettina Ghio nous fait aussi ce constat et cette analogie du rappeur et du troubadour. Elle est belle et ils en reprennent le rôle de dénonciation en poésie. Et si les rappeurs reprennent en partie les textes de chanteurs comme Renaud, Brel, Brassens et d'autres, des auteurs qui ne sont pas taxés aux de sous-culture, c'est qu'ils ont comme eux envie de faire des textes pour dénoncer.


Le rap c'est écrire pour la beauté de la langue mais aussi de l'oreille, c'est bien dommage de ne pas le comprendre encore à l'heure actuelle. le rap pâtît toujours de son manque de glamour et de son statut banlieusard.
Quand le rap dérape, les journalistes les attrapent et la prison sonne le glas ; quand le gouvernement avilit l'esprit de plusieurs générations, les rend hagards, forme véritablement des sous-cultures et donne tout son coeur à l'inégalité des chances, au manque d'accès à la « vraie culture »… et bien rien ne se passe et personne n'est inquiété.

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le 28 mai 2018

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