Critique de Shaynning

À bien des égards, l'histoire venteuse et duveteuse de Shamal et Bora m'a bercé comme l'ont fait la sublime BD "Armelle et Mirko", la tétralogie de romans intermédiaires "Mémoires de la forêt" et le tome unique "La maison des mots perdus". Il y a dans ces univers incroyablement doux et délicats une atmosphère particulière, d'une chaleur réconfortante, capable pourtant de mettre en relief des thèmes qui peuvent être très sensibles. Ils ont également en commun la force narrative et symbolique de leur graphisme. Et comme je le mentionne souvent dans ces cas-là, ils ont quelque chose de si profondément humain et juste que leur portée est universelle et intemporelle.

Quelque part dans un prés venteux couvert de fleurs, une petite taupe au pelage bleuté est en quête de feuilles rares pour compléter son herbier. Elle cogne son pied contre un gros caillou, mais en le grattant, elle découvre un igloo de sable. La coquette petite maison ronde est inhabitée. Dès lors, Shamal la taupe décide d'en faire son foyer, amenant couleurs, fleurs et confort entre ces murs. Chaque soir, elle se laisse bercer par le doux ronronnement de sa plus précieuse feuille, celle du ronronnier, joliment orangée et c'est ainsi qu'elle trouve la quiétude propice au repos. Toutefois, un soir, Shamal va à la porte d'entrée pour s'enquérir d'un grattement. C'est alors une boule d'aiguilles qui passe la porte, roulant jusque dans le lit du deuxième étage. Shamal n'ose pas déranger la petite hérissonne qui vient littéralement de débouler dans sa vie, et dont le venue va tout changer.

Bora, la petite hérisonne, est une petite demoiselle pétillante, créative et éparpillée, avec de bonnes intentions, mais aussi porteuses d'inconfort pour Shamal. La taupe aime l'ordre et la routine, le calme et la sécurité. Or, avec Bora, il y a toute sorte de nouveautés et de bruits dans sa vie. Un jour, Bora ouvre la porte au moment où Shamal se laisse bercé par sa feuille de ronronnier et un coup de vent emporte alors la précieuse feuille orangée. Dévastée et en colère, Shamal tempête contre Bora, qui va se consoler dehors par la suite. Malheureusement, le vent l'emporte elle aussi. Si Shamal retrouve un igloo calme, peu à peu, il lui semble manquer de quelque chose. Même la tarte à l'oignon qu'elle concocte pour se consoler finit par lui arracher des larmes nullement dus à ses ingrédients. Shamal se prend à se demander si Bora va bien, si elle froid, faim ou si elle est seule. N'y tenant plus, Shamal part à sa rercherche et marche longtemps et fort loin. Elle finit par dériver sur un nid de nénuphars jusqu'à ce qu'un chant se fasse entendre. Un chant qu'elle reconnait. Bora arrive sur son petit radeau, avec à la patte la précieuse feuille de ronronnier. Les deux amies vont voyager ensemble, vivre de nouvelles histoires, en se laissant porter par le vent.

Le "Shamal" est un "vent chaud du nord-ouest, chargé de poussière, affectant la partie inférieure de la vallée du Tigre et de l'Euphrate et le golfe Persique" ( Source: Office québécois de la langue française). Et le"Bora" est un "vent sec et impétueux du Nord-Est, qui souffle pendant les mois d'hiver dans le Nord de l'Adriatique. En somme, nous avons deux vents différents dans leur température et dans leur zone géographique, le Shamal couvrant l'Irak et l'Arabie saoudite, alors que le Bora lèche les berges de la botte de l'Italie, côté est. Dans un album où le vent est le troisième personnage muet de l'histoire, je trouve le choix des prénoms habile et poétique.

Le vent est parfois doux, parfois impétueux, il bouscule et il peut faire des choses injustes, comme emporter des choses précieuses. J'ai l'impression que le vent était cet élément hors du contrôle des personnages qui apporte des imprévus, comme la vie nous en amène souvent, pas toujours au bon moment. On a pas le contrôle sur tout. On ne peut pas faire dévier le vent. Cela dit, on a le choix. Shamal a perdu sa feuille par accident, mais elle a fait le choix de retrouver Bora. Ça dénote à quel point elle est devenue importante, car Shamal n'a pas eu le même réflexe que pour sa feuille, c'est-à-dire partir à sa recherche. Pour retrouver Bora, elle a pris le risque de quitter son chez soi, à travers ce vent qui bouscule tout. Son choix est d'également celui de l'amitié à la place d'un objet de réconfort.

J'ai envie de dire également que Shamal illustre que certaines amitiés sont si précieuses que nous sommes prêts à sortir de notre zone de confort ou affronter ses insécurités pour préserver cette amitié. Il y a donc un amour amical qui émerge de cette rencontre entre deux créatures qui semblent su opposées, mais qui se complètent si bien. L'amitié n'a rien à envier à l'amour conjugal ils ont les mêmes bases et souvent des racines plus anciennes dans notre relations. Ce que nous apprenons de nos amitiés se reflètent même souvent dans nos choix conjugaux, c'est dire à quel point les amitiés ne sont pas à sous-estimer en importance dans nos vies.

Cet album est infiniment doux et réconfortant, tant dans son étonnant graphisme naturel pailleté aux couleurs chaleureuses, inspiré du mouvement impressionniste ( d'où son petit côté "Van Gogh") avec une plume poétique qui berce ses lecteurs au gré du vent.

Pour un lectorat débutant, 6-7 ans+