Le polar, c'est la romance pour les mecs. Là où les femmes font du self insert où elles s'imaginent se faire culbuter par le BG ténébreux de service, les mecs s'imaginent être ledit de BG de service. Un maaaaâle alpha, solitaire et incompris, chassant le crime et la corruption sans relache. Un homme bourru, mais qui n'hésitera pas à sauver la veuve et l'orphelin avec ses poings et de son flingue, pour les fuir juste après, de peur d'avoir à affronter leur reconnaissance. Etre un héros, oui, mais un héros de l'ombre nettoyant bénévolement ce monde pourri, en silence et avec une virilité assumée.
Trevanian reprend ce trope. Qui ne voudrait pas être Nicholas Hel? Beau comme une statue grecque, riche comme Picsou, baisant comme un Dieu, et capable d'exterminer un bataillon de Delta Force en sifflotant, en bon homme de gout, la Traviata. Vous lui demandez d'affronter une super organisation secrète avec sa bite et une couteau? Il vous dira que le couteau est dispensable. Ce n'est pas un homme, c'est un rêve homoérotique, le fantasme ultime de l'Homme dans toute sa splendeur. Personnage trop parfait pour être honnête.
Mais, Trevanian est le troll originel. On lui a commandé un roman d'espionnage, mais lui voulait parler de go et de linguistique. Alors il va fournir l'histoire d'espionnage la plus moisie qui soit.
Pour rappel, une nymphette en jupette vient bénévolement se présenter à Nicholas afin de coudre ensemble une intrigue de fil blanc? Nicholas râle et l'envoie chier. La Mother Company, organisation tentaculaire contrôlant le monde? Une parodie de SPECTRE dont les agents sont aussi efficaces qu'un fonctionnaire territorial Lozérois. On s'attend à ce que Nicholas aille botter des culs un peu partout dans le monde pour prouver qu'il est le bad motherfucker et qu'il faut pas lui chier dans les bottes? Il a la flemme et préfère faire de la spéléo. La confrontation finale? Même Nicholas a la flemme d'achever des adversaires décidément bien médiocres.
A la place d'une intrigue de thriller bien cliché trop d4rk, on a une série de digressions où Trevanian nous partage son amour pour les traditions Japonaises, pour le sauvage territoire Basque, ses connaissances spéleologique, ou, évidemment, sa haine pour l'Amérique (une passion saine, comme chacun le sait). Et c'est délicieux. La prose de Trevanian est un monument de sarcasme et d’érudition; c'est un peu comme descendre un diabolo fraise avec ton pote qui a un doctorat mais qui a décidé de faire road trip sur road trip en Asie en short claquettes et qui a toujours milles anecdotes à te sortir. Celui qui s'écoute beaucoup parler et fait du gringue à la serveuse à chaque occasion, toujours avec succès. Parfois casse couilles, souvent brillant.
Bref Shibumi, le bouquin dont on ne savait pas qu'on avait besoin.