Bon, je tiens pour acquis que Colette pourrait bien me raconter n'importe quoi, le Code des Impôts, le CECRL, même les trucs les moins attrayants du monde, le discours du 14-Juillet du Président de la République, le descriptif de la nouvelle motorisation de n'importe quel machin à roues, elle parviendrait à le rendre intéressant. Et ça n'est pas ce recueil (Sido, suivi de Les vrilles de la vigne) qui va me faire changer d'impression. Car, si l'on y regarde de plus près, elle ne raconte pas grand-chose dans ces 284 pages, mais on ne s'y ennuie pas une seconde. Une amie débarque chez elle un dimanche, l'été s'est installé en Baie de Somme, sa chatte n'aime pas les visites ou entend l'appel semi-annuel de l'Amour, une fleur éclot, un parfum capite, un amant quitte sa maîtresse, la mère de l'autrice couve un rhume, ses frères n'aiment pas l'un de leurs camarades, bref autant dire rien du tout, mais c'est toute la sève de la vie qui surgit à chaque page, dans des paragraphes comme autant de plantes grimpantes couvertes de fleurs. Voilà, c'est ça, sa langue fleurit en permanence, à chaque ligne. Donc on éprouve à la lire cette joie impatiente qui accompagne le printemps. C'est une écriture météorologique, botanique et sensorielle dont il m'est impossible de me lasser. J'étouffe des exclamations sidérées à chaque trouvaille ou je pédale de jubilation dans l'air quand une saillie drôlatique me frappe à l'improviste, l'un de ces traits d'humour vachard qui font mouche et me ravissent. Ce petit recueil n'est guère avare de trésors de ce genre et prend donc sa place sur mon étagère des monuments littéraires, dont la poyaudine ma voisine occupe une bonne partie.