Ce petit livre est un recueil de chroniques choisies parues dans la Revue Blanche. Jarry y exploite notre quotidien et le décortique par articles de trois ou quatre pages. Il fait un parallèle entre une affaire moderne, celle des frères Rorique et le roman de Poe : Arthur Gordon Pym, citations à l'appui. Ainsi il dédouane le coupable qui n'est pas pour autant innocent, il est juste victime d'un destin littéraire qui le dépasse. Il s'insurge ailleurs des piétons qui osent disputer la route aux véhicules, souvent à leurs propres dépens et propose un code de la route à leur usage. Tout cela sur le fait divers d'un enfant de dix ans tué par un choc avec une automobile. Il s'étonne que les jours de fête nationale les meurtres dus aux épanchements patriotes des français, ne soient pas jugés avec la même sévérités que les autres assassinats commis le même jour. Il s'amuse à sacraliser des objets usuels comme les timbres et renverse des objets de culte, tel cette nouvelle chimère dans la chronique éponyme du drapaud. " Le drapaud [...] se roule en boule à la façon du hérisson ; mais ses piquants sont disposés autrement ; à vrai dire il n'en porte qu'un, de couleur jaunâtre et métallique, dirigé le plus souvent vers le ciel : une sorte de corne."

Il m'est difficile ici de faire le tri entre ce qui rentre dans le résumé et dans la critique, je vais donc passer à celle-ci.
Jarry a un style sublime, véritable maître de la plume, il sait en quelques lignes nous ravir. Son humour est grinçant, caustique, on ne sait jamais à quel degré prendre ses chroniques, notamment lorsqu'il s'agit des femmes, qu'il prend en pitié, et méprise tour à tour.
Il n'a pas peur de choquer, décrivant les noyés comme une espèce animale ou végétale à part entière, et se servant d'un drame routier à des fins satyriques. Loin de la provocation gratuite, il ne cherche pas simplement à faire parler de lui, mais à faire réagir le lecteur à ces horreurs de tout les jours banalisées et inaperçues.

Le fait divers est l'une de ses principales inspirations, mais pour quelqu'un qui écrit dans une revue, c'ets tout naturel. Il use de l'ironie de façon opportune, souvent mais on ne s'en lasse pas, dans ses mains elle est une arme bien plus efficace que bien des discours politiques.
Ce recueil se veut un manuel de Pataphysique ou "science des solutions imaginaires" ou de l'exception.
Jarry cisèle aussi bien les mots que la réalité de notre quotidien si banal, et l'un et l'autre deviennent grâce à lui un art tout nouveau plein de promesses. Je n'ai pas encore lu d'Ubu(s), mais avec cette mise en bouche, je le ferai volontiers.

Ne vous laissez pas impressionner par l'abscondité du titre, le contenu, lui, l'est nettement moins.
Diothyme
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le 1 sept. 2011

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