En 2021, le cinéma pourrait être perçu comme la chose la mieux partagée au monde. Il suffit d’avoir un smartphone ou une caméra numérique pour concevoir un film, une télévision ou un ordinateur pour visionner une œuvre, se rendre à une soirée ou au café du coin pour discuter des mérites de tel réalisateur ou de telle comédienne. Cette image d’Épinal, ô combien réductrice, cache une réalité sociologique complexe, sur laquelle Aurélie Pinto et Philippe Mary s’attardent longuement. La segmentation sociale des publics est loin d’avoir disparu : les classes supérieures consomment proportionnellement plus de films au cinéma que les classes moyennes et populaires, davantage attachées au petit écran. De la même manière, les premières se portent plus volontiers vers les classifications Art & Essai quand la préférence des secondes va aux blockbusters ou aux comédies françaises. En ce qui concerne les salles obscures, le taux de pénétration est de 80% pour les moins de 25 ans, ce qui n’empêche pas le public moyen de vieillir, puisque 44% des entrées enregistrées sont désormais le fait des plus de 50 ans.


À l’intérieur même du système de production cinématographique, on peut distinguer différents types de films : le profit économique s’oppose au symbolique, la démarche populaire à celle d’auteur, la consécration critique et cinéphilique à celle du box-office, les décors naturels, tentatives expérimentales et productions avec aides publiques aux effets spéciaux, grandes stars et financements par les grandes chaînes comme TF1 ou Canal+. Aurélie Pinto et Philippe Mary reviennent sur tous ces points, mais aussi sur les évolutions historiques du cinéma français – la Qualité française, la Nouvelle vague, les revues spécialisées, le Jeune cinéma français… – et les différents métiers (ainsi que leur rayonnement) qui contribuent à l’élaboration d’un film. La toute-puissance des réalisateurs et comédiens de renom est à mettre en regard avec des métiers dévalués, et historiquement féminins, comme ceux associés au montage ou aux décors/costumes/maquillages. Les trois cercles du cinéma français (des acteurs dominants aux professionnels précaires en passant par les sociétés intermédiaires), le processus de fabrication d’un film (de la gestation et l’écriture à la postproduction) ou encore les spécificités de la Fémis (formant des profils sociaux plutôt homogènes) figurent en bonne place dans cet opuscule didactique.


La dernière partie de Sociologie du cinéma est consacrée aux représentations. Les auteurs s’y intéressent au cinéma social, aux attentions ethnographiques, à la manière dont le fait social est restitué dans des films aussi divers que Le Goût des autres, Parasite ou Les Choristes. La comédie fondée sur les oppositions de classe, les documentaires ou les interventions d’experts dans des films de fiction sont également abordés. En définitive, ce petit ouvrage ouvre des grilles d’analyse que son format ne permet évidemment pas d’épuiser. Ça n’en demeure pas moins une lecture instructive, qui met en perspective la fabrication des films et leur regard, mais aussi leurs modes de réception et la hiérarchisation de leur public. L’entrée en matière est louable. Pour aller plus loin, il faudra se pencher sur la riche bibliographie proposée en appendice.


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Cultural_Mind
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le 3 juin 2021

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