Soumission par Snifou De Laze

Roman d’anticipation ou dystopie (chacun son choix) de Michel Houellebecq écrit en 2014.
Nous sommes en 2022. Alors que la France est en proie à une lutte entre identitaires et salafistes dans la rue, et entre nationaliste et libéraux en politique.
Se hissent au second tout de l’élection présidentielle le Front National de Marine Le Pen et un parti d’obédience Islamiste, la « Fraternité Musulmane », dirigé par un jeune leader Charismatique élevé au biberon de la République Française et issu de ce qu’il reste de sa méritocratie, Mohammed Ben Abbes. Dans leur aveuglement de la diabolisation de Le Pen (voir l’ouvrage « du Diable en politique » de P.A. Taguieff), tous les partis « Républicain » (lol) reforment un front anti-Lepéniste et appellent à voter Mohammed Ben Abbes, suivis par les électeurs, qui remportent les élections présidentielles.

Nous suivrons dans ce contexte Michel, prof de littérature, et qui présentent les caractéristiques que l’on retrouve dans tous les personnages principaux des romans de Houellebecq.
Michel Houellebecq n’a jamais caché son aversion envers l’Islam. Quand arrive dans la presse l’information qu’il va écrire un roman prenant pour sujet l’hypothèse de l’arrivée des Islamistes au pouvoir en France, tout le monde, moi y compris, imagine un pamphlet lourdement anti-islam, avec la violence d’une guerre civile, l’instauration d’une charia à la Saoudienne, avec lapidation, voile intégrale etc… toute la panoplie complète.

Mais c’est sans compter sur l’intelligence de l’auteur qui prend tout le monde à contre-pied.

Le sujet principal du livre ne sera pas la conquête de l’occident par l’Islam. Ça ne sera qu’une conséquence, qui ne sera rendu possible que par une cause : la décadence de l’occident, induite par son hyper libéralisation sociétale et son hyper individualisation.

Il ne commettra pas l’erreur ou la facilité de transposer une des Charia ayant cours dans la péninsule Arabique en France. Tout comme l’Afrique après ses conversions à la Chrétienté ou à l’Islam à travers ses différentes colonisations n’est pas devenue Occidentale ou Arabe. Parce qu’il y avait déjà un socle culturel et religieux animiste avant l’arrivée de ses religions. Et l’Islam qui s’installera en France dans le roman sera lui aussi influencé par le socle culturel Français occidental, d’autant plus que son leader est né et a grandi en France.

Je vais livrer ici ma vision personnelle du roman. Je classerai les personnages en plusieurs catégories

Le Peuple

J’entends déjà me répondre que le peuple n’apparait pas et n’est pas représenté dans le roman. Et pourtant il est bien présent en filigrane.

Il n’est pas question de grand remplacement dans ce roman. Le peuple est toujours majoritairement occidental et européen. Et pourtant la Fraternité Musulmane remporte les élections présidentielles au suffrage universel direct. Le peuple est donc non seulement présent dans le roman, mais en est même l’élément déclencheur.

A part ceux appelé « les identitaires », l’élection ne provoque pas de grabuge ni de guerre civile. Le résultat est reconnu et accepté par le peuple.

Alors pourquoi ce peuple voterait-il contre son intérêt ? Et vote-t-il réellement contre son intérêt ?
Peut-être pas. Nous sommes dans un monde ou la libéralisation économique et sociétale a été poussé à son extrême, et a détruit le socle même de ce qui fait une nation. Il n’y a plus d’autre intérêt supérieur que l’argent ou les bénéfices. Il n’y a plus d’autre patrie à défendre que l’individu roi, devenu un consommateur. Tous les repères qui font une nation, une civilisation ont été balayé par cet individualisme.

N’ayant plus d’horizon qui dépasse sa propre existence, voir celles de ses enfants, ce peuple sera prêt à se soumettre à n’importe quel parti lui apportant la sécurité. Le libéralisme sociétal et économique a aussi supprimé tous repères moraux et sociétaux dont un peuple pour créer le socle qui lui permet d’exister, peu importe qui lui donne ce socle. De la même façon les Afghans préfèrent l’ordre Taliban que le chaos et l’effacement de tous repères moraux amené par la chute des Talibans.

De chaque côté de cet échiquier qui composent le peuple, nous avons les deux composantes qui ont rejeté le libéralisme et l’individualisme forcené pour se rattacher chacun à son socle de valeurs, de repères moraux, à ses repères civilisationnels : Les Salafistes et les identitaires. Ils seront tous les deux neutralisés par la Fraternité Musulmane.

La Fraternité Musulmane

La Fraternité Musulmane est le parti d’obédience Islamique qui remporte l’élection présidentielle de 2022. Il est dirigé par Mohammed Ben Abbes (que je nommerai par MBA par la suite de la critique).

Mais alors que l’on pourrait s’imaginer guerre civilisationnelle, violence, instauration d’une charia à la Saoudienne, rien de tout cela arrive. MBA est Musulman oui. Il est pratiquant oui. Mais il est Français, est né en France et a toujours vécu en France.

Il ne s’agit pas d’un parti Wahabite. Il défendra les valeurs de l’Islam bien sûr, mais commencera surtout à neutraliser le désordre, ce qui lui donnera sa légitimité. Il mettra fin aux violences dans les banlieues, aux trafics de drogue, Il s’opposera à l’Arabie Saoudite et à l’Islamisme Wahhabite et Salafiste pour défendre les intérêts de sa France Musulmane etc…

Il mènera en fait une politique conservatrice en ramenant l’ordre dans le pays. Politique qui aurait sans aucun doute été mené à l’identique par un parti conservateur occidental chrétien.

On peut même aisément imaginer que décomplexé, il limitera drastiquement l’immigration venu d’autres pays Arabe.

C’est cette politique conservatrice qui lui permettra de ramener l’ordre dans un premier temps qui lui confèrera sa légitimité. Les premiers préceptes islamiques instaurés sont acceptables en échange de ce retour à l’ordre. Le reste des mesures Islamiques plus clivantes viendront ensuite (on a déjà la polygamie qui s’installe dans le livre).

Au niveau géopolitique, il n’y aura pas une grande nation Musulmane unie, tout comme il n’y en a pas aujourd’hui au Moyen-Orient, tout comme la Christianisation de l’Europe n’a pas empêché les guerres entre les différents peuples qui la composent. Nous aurons juste une France, un pays occidental, devenu islamique, avec sa propre pratique de l’Islam.

Les élites

Famille dont fait partie le narrateur. Si les élites du pays sont d’abord effrayées de l’arrivée au pouvoir d’un parti Musulman en France, ils s’en accommoderont plutôt vite. Ces derniers, étant en majorité libéraux, avaient déjà abandonné toute idée de nation, de socle commun, d’unité etc. au profit d’un individualisme forcené dont le seul objectif est le bien être de leur propre personne même si ça doit être contre l’intérêt commun.

Et MBA aura l’intelligence de ne pas se le mettre à dos. Ces élites étant achetables, il ne renversera pas la table. Il les flattera, leur donnera ce qu’ils demandent, et finira par les mettre de son côté.

Ceux qui, et il y en a, n’auront pas céder aux chants de l’ultralibéralisme et l’ultra-individualisme (et il y en a), seront attachés à leur socle de valeur occidentale chrétienne, et refuseront de se soumettre, verront leur carrière stoppée nette, se verront mettre au ban. Ou cacheront leurs états-d ’âme pour continuer à exister. Ils seront le leader des terroristes de demain, ou ceux qui vivent dans la takîya en attendant le moment de la « Reconquista ». Dans un pays devenu conservateur Musulman, les rôles seront donc inversés.

Et il y a le cas de notre héros. Imminent professeur arrivé à la cinquantaine, il n’est plus dans le coup. Sa spécialité en tant que professeur n’est plus à la mode, et en tant qu’homme, son âge, sa forme physique, son allure, font de lui, dans ce monde ultra-individualiste, un produit de consommation arrivé à sa date de péremption. Dans ce monde libéral et individualiste, il n’est plus rien et ne vit que sur ses restes. Attaché à sa culture occidentale chrétienne, mais peu courageux, il restera dans un premier temps spectateur, se rapprochant mollement des défenseurs de la culture occidentale chrétienne.

Mais il cèdera à la fin au nouveau pouvoir en place qui lui donnera l’opportunité de ne plus être un produit à jeter, mais de redevenir un homme à part entière avec un rôle à jouer dans la nouvelle société. Il se soumettra.

Conclusion

Houellebecq aurait pu choisir la facilité en présentant une prise de pouvoir fantasmée de l’Islam en France via une guerre civile ou les racailles de banlieue seraient les soldats à affronter. Puis montrer un Islam au pouvoir avec force description de femmes voilées de la tête au pied et n’ayant plus aucun droit, de lapidation, de décapitation etc….Sa notoriété et le sujets brulant en auraient fait un succès littéraire assuré.

Il a été beaucoup plus intelligent et fin. Et il nous livre une œuvre réaliste qui finalement parle plus de la décadence de la civilisation occidentale chrétienne due à son ultralibéralisme sociétale et économique, qui la mènera à sa perte lente et inéluctable, et à son remplacement, non pas par la conquête d’une civilisation extérieure, mais par un Islam occidental né à l’intérieur de ses propres frontières. Le parallèle est évident avec la chute de la civilisation Romaine et de son remplacement par la Chrétienté qui s’était développé en son sein.

Il ne met pas en scène des barbares Islamistes venus d’ailleurs le couteau entre les dents et la bave aux lèvres. Il met en scène l’arrivée au pouvoir de conservateurs Musulman occidentaux et occidentalisé, qui ne feront pas revenir le pays au moyen-âge. Et si ces conservateurs musulmans arrivent au pouvoir, c’est parce que les libéraux auront tellement diabolisé les conservateurs traditionnels occidentaux de peur que ces derniers reprennent le pouvoir, qu’ils leur auront coupé les ailes et toutes chances de l’emporter. Mais la nature ayant horreur du vide, et le peuple ayant horreur du désordre et ayant besoin de repères sociétaux et moraux, ces conservateur traditionnels occidentaux, une fois vaincus, seront remplacé par les conservateurs musulmans, qui eux auront échappé à cette diabolisation grâce à la philosophie même des libéraux.

Ceux qui hurlent avec les loups en traitant ce livre de raciste ou d’islamophobe ne l’auront en fait sans doute pas lu (big up à Snifou Snifou et au gang des quatrième de couverture). Houellebecq ne fait pas de jugement moral sur cet Islam politique qui s’installerait en France et lui reconnaît même des qualités.

Sa critique s’adresse principalement à ceux qui auront rendu possible cet état de fait.

D’autres qui auront dit que ce roman est au contraire islamophile l’auront lu, mais n’en auront pas, selon moi, saisi toutes les nuances. Oubliant notamment qui est Houellebecq, l’auteur du roman, et oubliant certains passages du livre ou il vante la civilisation occidentale chrétienne et ce dont elle a été capable (« le beau »).

Ce livre pose beaucoup de questions. Le déclin de la civilisation occidentale chrétienne est-il inéluctable ? D'ou vient ce déclin ? Est-il souhaitable ? Vaut-il la peine de se battre pour la sauver ? Devons-nous nous battre ? Ou vaut-il mieux l'accepter ? Etc...Chacun aura ses réponses.

Le livre est court par rapport aux autres ouvrages de Houellebecq, faisant dire à certains qu’il a bâclé ce roman. Moi je le vois plus comme une fulgurance. Donner plus de détails, ce serait sous-estimer l’intelligence du lecteur. Voir faire du remplissage comme Houellebecq l’a déjà fait dans d’autres romans.

Pour moi, avec « Les particules élémentaires », une des œuvres maîtresse de Houellebecq. Fines, intelligente, et pas manichéenne.